Alors que le Premier ministre alerte sur la «vague extrêmement élevée» de l’épidémie en France, les mobilisations d’urgence pour la sécurisation sanitaire et économique, notamment des professionnels de la santé, s’expriment en modes revendication ou action solidaire.
Les questions sanitaires toujours patentes
Le Collège de la médecine générale insiste sur le fait «que les soins ambulatoires, nécessaires, doivent être poursuivis aussi pour les patients sans suspicion de Covid-19». Pour l’organisation professionnelle, en effet le durcissement des conditions de déplacements crée un risque «de délaisser les soins de santé primaire, (…) de base et (…) chroniques (…) ceux qui ont le plus d’impact sur la mortalité».
Le Syndicat des médecins libéraux, non sans avoir constaté que le Président de la République, lors de son allocution, n’avait «rien promis aux libéraux», s’associe avec le Centre national des professions de santé et l'hospitalisation privée, pour lui demander d'accélérer la mise à disposition de moyens, à savoir: l’approvisionnement en masques de structures sanitaires qui en sont dépourvues (centres de radiothérapie, centres d’imagerie, laboratoires de biologie médicale…); la «levée sans délai des obligations de marquage CE (…), des contraintes douanières, de (…) toute limitation de nombre et (…) des menaces de réquisitions».
Le texte réaffirme aussi la nécessité de renforcer «les capacités de dépistage», «un engagement fort du Gouvernement, du ministère de la Santé et des fournisseurs pour répondre aux urgences immédiates (d’écouvillons-NDLR), mais également pour garantir les capacités de réalisation des tests pour le dépistage de masse prévu à la levée du confinement». Il rappelle aussi que l’Association française de psychiatrie (AFP) et le Syndicat des psychiatres français (SPF) ont alerté, dans un communiqué commun, sur la nécessité «de préserver la continuité des soins par tout moyen et en fonction des particularités de chaque cas individuel», ce pourquoi ils privilégient «les modes de consultations à distance (…) sans exclure toutefois toutes les autres formes de communication, notamment téléphonique», ni la possibilité «d’effectuer des actes présentiels». Là encore, s’expriment une demande en «moyens matériels», de «favoriser les échanges entre la médecine libérale et la médecine hospitalière, et d’ouvrir, lorsque c’est possible, des lieux de consultation dédiés».
Les professionnels de l’accompagnement à domicile sont également en première ligne, selon la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne qui souhaite donc qu’ils puissent bénéficier «comme les professionnels libéraux, de 18 masques par intervenant et par semaine». La présidente de la fédération professionnelle Marie-Sophie Desaulle motive cette requête par le fait que «ces professionnels représentent la 1re porte d’entrée dans le système de santé, bien avant le médecin généraliste. Sans eux, ce sont des milliers de personnes qui risquent de se retrouver seules, sans soins, sans accompagnement, avec le risque de mortalité que cela implique».
Cette situation motive aussi la Confédération générale du travail à interpeller les pouvoirs publics sur la situation de l’aide à domicile, dont elle estime la «situation alarmante et inacceptable», particulièrement sur le plan santé et sécurité au travail. Ce pourquoi elle demande, en urgence, la réalisation de «tests de dépistage systématiques», la fourniture «du matériel de protection (masques FFP2, masques chirurgicaux, blouses, gants, gel hydroalcoolique)». Constatant que «la mise en place du chômage partiel est très disparate voire, parfois, refusée», et «qu’avant même la crise, beaucoup de structures étaient déjà en grande difficulté financière et faisaient face à un manque de moyens dû à des années de politiques gouvernementales d’austérité», le syndicat demande aussi un soutien économique au secteur et à ses salariés.
Même préoccupation dans les fédérations de la CFDT Santé Sociaux et Interco pour qui «la situation de mise en danger des personnels hospitaliers, d’EHPAD, de l’aide à domicile, de services de soins infirmiers, de la psychiatrie, de la pénitentiaire, les professionnels du secours ... et de toutes les structures d’accueil sociales et médico-sociales pour les adultes, les enfants comme les personnes en situation de handicap est inadmissible». D’où leur requête de dotation en moyens, de mise en œuvre du dépistage. Le syndicat mobilise par ailleurs des adhérents pour l'opération «Trouvons des masques» qui seront ensuite remis en proximité aux établissements de soins et EHPAD.
Le Conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes en appelle aux pouvoirs publics, par voir de courriers aux ministres de la Santé et de l’Économie sur les problèmes sanitaires et économiques auxquels est confrontée la profession. La présidente Pascale Matthieu sollicite du premier que le «Gouvernement n’exclue pas de facto les kinésithérapeutes du dispositif national» de soutien au chômage partiel. Au second, elle soumet la demande de «publier un texte permettant (aux professionnels-NDLR) de pratiquer le télésoin».
L’Ordre des architectes, par la voix de son président Denis Dessus, «alerte sur les risques sanitaires liés aux déplacements ou à l’installation de malades dans des locaux inadaptés» et préconise que les pouvoirs publics se mobilisent, avec le concours de la profession (et des bureaux d’études, entreprises) pour «adapter les bâtiments potentiellement disponibles», que ce soit les établissements de soins eux-mêmes, les EHPAD, mais aussi tous les «locaux non hospitaliers, gymnases, hôtels, qu’il faut en urgence “corriger” avant d’envisager de s’en servir pour l’accueil de services de soins ou même de consultation».
Faire face aux contraintes économiques et sociales
L’annonce du ministre de l’Agriculture de faire appel à toutes les bonnes volontés pour fournir des bras au secteur suscite des réserves fortes de la part de la Confédération paysanne. Si elle estime «légitimes» les inquiétudes des professionnels, la Conf’ juge qu’elles ne sauraient «justifier des atteintes inacceptables au droit du travail, qui créent un précédent dangereux et risquent de perdurer au-delà de l'urgence sanitaire». Le syndicat d’exploitants s’engage en faveur de «davantage de reconnaissance et de protection pour les salarié-e-s: respect des droits sociaux, accueil dans des conditions dignes et irréprochables sur le plan sanitaire», mais aussi pour faire en sorte que les «producteurs.trices en difficulté (obtiennent-NDLR) une indemnisation juste». Il invite, par ailleurs «les personnes qui souhaitent aider bénévolement à rester chez elles, à rejoindre un groupe de solidarité locale via la plateforme https://covid-entraide.fr/ et à soutenir les paysan.ne.s en privilégiant les circuits courts, la vente directe et les produits locaux».
Par ailleurs, la Conf’ «alerte sur le risque d'effondrement des prix aux producteurs et l'impasse dans laquelle vont se retrouver de nombreux et nombreuses paysan.ne.s.», du fait du blocage de nombreux débouchés (dont les viandes de Pâques), du risque à venir de nombreux excédents (secteur du lait), du sous-fonctionnement des abattoirs. En fonction de quoi, elle estime que «ainsi que le permet le règlement européen, il faut mettre rapidement en place un dispositif incitatif de réduction des volumes de la production laitière (…) élargi au niveau européen». Le syndicat d’exploitants agricoles sollicite en urgence «une réponse politique d'envergure, afin de garantir le bon fonctionnement des filières de production et soutenir la pérennité des fermes».
Également attentive à la dégradation de l’activité de certains secteurs (viande d’agneau et de viande ovine), la Coordination rurale considère que «les distributeurs doivent privilégier l’approvisionnement en viande ovine française plutôt qu’en viandes issues d’importations» et que «les pouvoirs publics (prennent-NDLR) les mesures adéquates pour les y contraindre si nécessaire».
Si de nombreuses communes ont fait le choix de suspendre les marchés, l’association Centre ville en mouvement et l’organisation professionnelle Marchés de France défendent l’idée qu’il faut maintenir «ces activités de commerces qui sont vitales pour nos territoires et nos concitoyens». Les signataires demandent ainsi un assouplissement et que les «préfets puissent accorder des dérogations aux maires qui respectent les consignes et se font assister de leur police municipale», lesquels «pourraient s’engager plus fortement sur les mesures d’hygiène à faire respecter par les clients».
Pour les fédérations syndicales de la branche des Industries électriques et gazières, (FNME-CGT, CFE-CGC Énergies, FCE-CFDT et FO Énergie et Mines), il est nécessaire que «seules les activités nécessaires à la fourniture d’énergie et à la sécurité soient assurées par les équipes». Jugeant que «le recours à des charges et des temps de travail exagérément importants ferait peser sur les salariés des risques supplémentaires», l’intersyndicale souligne aussi qu’il «serait incompréhensible, indigne et irresponsable que les entreprises du CAC 40, comme celles du secteur de l’énergie reversent à leurs actionnaires des dividendes en 2020».
Pour la CGT, il faut imposer «l’arrêt de l’activité des plateformes (de livraison-NDLR) pendant la crise» et soutenir «un revenu de remplacement à hauteur de 100% de la rémunération habituelle pour les livreur.euse.s dans l’incapacité de travailler et le maintien de la rémunération pour ceux ayant travaillé mais dont l'activité a baissé». Le syndicat met en avant les risque sanitaires encourus par les livreurs mais aussi par la population, non sans indiquer que «Deliveroo a daigné envoyer un mail à ses livreur.euse.s annonçant qu’il leur fournirait des masques dont la “disponibilité est limitée”, selon des modalités peu claires».
La fédération CGT Pénitentiaire «exige que tous les moyens soient mis en œuvre dans les plus brefs délais afin de garantir aux personnels pénitentiaires une protection en adéquation avec les risques encourus». Le syndicat rappelle en effet que «malgré de nombreux courriers ou communiqués à l’adresse de l’administration ou du ministère, le DAP et la ministre préfèrent faire la “sourde oreille” face aux craintes et demandes portées légitimement par le personnel», pourtant contraint de travailler en «milieu confiné» où il «est très difficile de faire respecter les gestes barrières».
Au-delà de l’allocution du président de la République
Réagissant à l’allocution du Président de la République, l’Union syndicale Solidaires manifeste ses réserves, à travers des questions telles que: «Quel dégât aura-t-il fallu pour que le Gouvernement parle d’un plan d’investissement massif à l’hôpital ?», « Comment le croire plus que lors de ses précédents plans qui n’ont pas été suffisants pour rattraper la situation actuelle». Et de rappeler les «mesures contradictoires», la «remise en cause des congés et la dérogation aux durées maximales de travail», le refus d’écouter «les professionnel·les de santé, tous métiers confondus alors qu’ils et elles étaient mobilisé·es, en grève, dans la rue depuis des mois».
Le syndicat de salariés énonce ses «revendications». Dans l’immédiat: protection des salarié·es, «ce qui veut dire ne conserver que les activités essentielles et ce sont les organisations syndicales avec les salarié·es qui les connaissent vraiment»; «donner tous les moyens de protection pour ceux et celles qui travaillent»; «respecter le Code du travail (…) et les droits de tous et toutes y compris des employé·es de la sous-traitance et des intérimaires, et interdire les licenciements et les ruptures abusives de périodes d’essai»; «cesser toute distribution de dividendes et réorienter la politique fiscale en faisant contribuer les plus riches».
À plus long terme, Solidaires préconise «un plan de développement des services publics, l’arrêt des suppressions de postes et de moyens», «la revalorisation des salaires de toutes les professions», une «protection sociale de haut niveau pour l’ensemble de la population», une économie et des politiques réorientées «transformation écologique, sociale, et féministe de la société».
La Fédération européenne des syndicats de services publics (par la voix de son secrétaire Jan Willem Goudriaan), et l’Union européenne des employeurs sociaux (par la voix de son président Gregor Tomschizek) en appellent à la Commission européenne et aux États membres pour que le secteur des services sociaux et médico-sociaux puisse faire face à une situation très dégradée, du fait d’être «sous-financé et, par conséquent, souvent en sous-effectif», ce qui conduit « à la fermeture complète de certains établissements ou services».
Les deux organisations militent notamment pour que soient «garantis la rémunération de tous les travailleurs sociaux et (…) leur emploi, par exemple par des réaffectations temporaires»; qu’ils soient équipés en «matériel de protection adéquat» et aient «accès à des informations fiables et une formation sur les mesures de sécurité sur le lieu de travail dans toutes les langues pratiquées au sein du personnel». Elle juge aussi nécessaire de sécuriser «par le biais de lois ou de conventions collectives nationales, le droit à des congés de maladie payés, la flexibilité et d’autres aménagements nécessaires (…)» en matière de garde d’enfants». Plaidant pour que soit facilité le recours aux «aux fonds européens et nationaux pour un soutien financier immédiat pour les salaires et autres coûts comme le financement de réponses innovantes, la FESSP demande en outre «de prévoir des exceptions pour les travailleurs sociaux qui doivent traverser des frontières nationales». Enfin, elle tient à saluer «les efforts des employeurs et du personnel des services sociaux».
En réaction notamment à l’allocution du Président de la République, près d’une vingtaine de leaders d’organisations professionnelles d’employeurs et de salariés (Confédération paysanne, syndicats CGT, FSU, Solidaires, de la magistrature, étudiants de l’UNEF, lycéens de la FIDL et de l’UNL), d’associations et ONG (Amis de la Terre France, ATTAC, Greenpeace France, Oxfam France, France de 350.org, Action Non-Violente COP21, Alternatiba, CCFD-Terre Solidaire, Droit au Logement, Fondation Copernic) entendent mobiliser pour «reconstruire ensemble un futur, écologique, féministe et social, en rupture avec les politiques menées jusque-là et le désordre néolibéral».
Imputant la difficulté de réponse à la crise aux effets de ce modèle, les signataires préconisent que des dispositions d’urgence soient prises pour «protéger la santé des populations celle des personnels de la santé et des soignant·e·s», ce qui implique notamment que «le monde du travail doit être mobilisé uniquement pour la production de biens et de services répondant aux besoins essentiels de la population, les autres doivent être sans délai stoppées», mais aussi que les pouvoirs publics actent des mesures telles que «réouverture de lits, revalorisation des salaires et embauche massive, mise à disposition de tenues de protection efficaces et de tests, achat du matériel nécessaire, réquisition des établissements médicaux privés et des entreprises qui peuvent produire les biens essentiels à la santé, annulation des dettes des hôpitaux pour restaurer leurs marges de manœuvre budgétaires».
Considérant que «le Gouvernement ne doit pas profiter de cette crise pour aller encore plus loin (dans la limitation des droits sociaux-NDLR) ainsi que le fait craindre le texte de loi d’urgence sanitaire», le collectif revendique de multiples priorités de justice sociale, dont «l’interdiction de tous les licenciements dans la période», que «les moyens dégagés (…) pour aider les entreprises (soient-NDLR) en priorité vers (…) notamment les indépendants, autoentrepreneurs, TPE et PME», ainsi que l’encadrement du «versement des dividendes et le rachat d’actions dans les entreprises».
Outre le contrôle du bon usage de l’argent investi par la BCE sur les marchés financiers, la remise à plat des règles fiscales, la priorisation des aides et des investissements sur la «reconversion sociale et écologique», la révision à la hausse du budget européen, la tribune met, enfin, l’accent sur la «relocalisation de la production».