Alors qu’il est vraisemblable que le confinement va durer, les acteurs de la santé sont favorables à une individualisation plus marquée des mesures de précaution. L’économie française est dans une véritable tourmente, aggravant la double contrainte pour les organisations professionnelles de soutenir les entreprises et les salariés sans déroger à des mesures sanitaires plus strictes.
Le point sur les problématiques sanitaires
La multiplicité des démarches pour enrayer médicalement la pandémie ne doit pas faire oublier de mieux connaître le virus. La situation des infirmiers montre que la protection de tous les acteurs du soin n’est pas encore optimale.
Le Syndicat national des dermatologues-vénéréologues (SNDV) tire la sonnette d’alarme auprès notamment du corps médical sur d’autres symptômes éventuels de la maladie, à savoir des «lésions cutanées», de type «pseudo-engelures des extrémités» ou «rougeurs persistantes parfois douloureuses» et «urticaire passager».
L’Ordre national des infirmiers, sur la base d’une enquête auprès de la profession «à laquelle près de 70.000 infirmiers ont répondu», alerte les pouvoirs publics sur une situation particulièrement difficile exigeant un effort en faveur de «la profession et des patients». Il préconise, plus particulièrement «que les infirmiers exerçant en EHPAD, établissements médico-sociaux ou à domicile, soient davantage considérés dans les efforts déployés (…) pour équiper l’ensemble des professionnels de santé en matériel de protection», ainsi que «un dépistage systématique des personnels de santé qui le souhaitent» et la «promotion du soin infirmier». Pour l’ONI, il faut que «les établissements de santé (instaurent-NDLR)des espaces différenciés (Covid / non Covid) et les professionnels de santé qui interviennent à domicile à mettre en place des tournées différenciées». De son côté, l’institution ordinale prend des dispositions pour accompagner judiciairement les professionnels victimes de violences (comme partie civile dans les procédures), soutenir psychologiquement tous ceux qui en expriment le besoin (via la plateforme PsyCorona).
Le point sur les problématiques économiques
Secteur considéré comme vital, l’agriculture et les activités aval sont en situation de grande fragilité, demandant un soutien affirmé des pouvoirs publics, des distributeurs, des consommateurs. Dans beaucoup de secteurs, l’effet des mesures publiques est affaibli par la dégradation rapide des comptes des entreprises. Les appels à la solidarité professionnelle, de filière se doublent de nouvelles requêtes au Gouvernement et à l’Europe.
La Confédération paysanne, via un courrier au Président de la République, à plusieurs ministres, aux parlementaires, aux élus des collectivités, énonce 24 exigences devant permettre «de garantir la viabilité de nos structures agricoles» pleinement mobilisés pour l’approvisionnement alimentaire de la population. Afin d’assurer la continuité de l’activité, le syndicat professionnel agricole juge nécessaires «de stopper les activités non vitales», de permettre aux professionnels (inclus aussi les industries de transformation et la logistique, les abattoirs) de «pouvoir accéder aux moyens de protection» et «d’être protégés en veillant à ce que les conditions de travail, d'accueil ou de logement respectent scrupuleusement les recommandations sanitaires», de renforcer « le service (…) et l’allocation de remplacement», de considérer les paysans comme « prioritaires pour l'accueil de leurs enfants». La Conf’ réclame aussi un assouplissement du dispositif de «prêts aux jeunes agriculteurs, ainsi que pour les déclarations PAC (accompagnement et possibilité de les modifier). L’approvisionnement alimentaire sur tous les territoires impose, selon le syndicat, de «maintenir les marchés», «renforcer les débouchés alternatifs de proximité et préserver la vente directe avec l'appui des collectivités locales» (ce qui induit aussi de ne pas « verbaliser les consommateur·rice·s qui s'approvisionnent en vente directe»], inciter les grandes et moyennes surfaces à «mettre en avant les filières en difficulté, les signes de qualité et les productions nationales» ainsi qu’à afficher «la transparence sur les prix d'achat et prix justes».
Le report des «échéances bancaires», le «prolongement (du-NDLR) fonds de solidarité durant la totalité des arrêts d'activités dus au confinement» doublé d’un «système d'indemnisation complémentaire compensant les pertes économiques réelles», la mise en place d’une «procédure de sauvegarde simplifiée», le «paiement des aides PAC*», la pérennisation des MAEC (mesures agroenvironnementales et climatiques) dans la prochaine PAC contribueront à assurer «la viabilité des fermes». Les autres mesures demandées concernent le soutien aux filières: à cet égard, La Conf’ soutient «une réduction obligatoire des volumes» dans le secteur laitier, «une aide au stockage des viandes» (privé et public), « l'arrêt de tous les échanges agricoles internationaux non indispensables à l'alimentation des populations et l'instauration de prix minimum d'entrée au sein du marché européen», sans oublier la lutte contre « toute spéculation des marchés financiers sur des denrées agricoles et alimentaires». A plus long terme, c’est une reconsidération du modèle agricole que les pouvoirs publics devront s’attacher à soutenir en engageant des «des moyens importants pour permettre la transition vers des systèmes plus autonomes, plus diversifiés, moins dépendants des marchés mondiaux et des filières davantage relocalisées, transparentes, équitables et moins segmentées».
Pour le Comité interprofessionnel de la pomme de terre (CNIPT), il est également nécessaire que «les volumes mis en marché soient mieux maîtrisés, et cela ne peut passer que par une réduction importante des surfaces emblavées». Appel est donc lancé aux producteurs comme aux commerçants pour que «chaque emblavement (soit-NDLR) décidé en fonction du débouché préalablement défini».
Confrontées également à des problèmes d’écoulement de la production, la Fédération nationale des éleveurs de chèvres et la Fédération nationale des producteurs de lait se félicitent des «mesures d’adaptation temporaire» annoncées par le ministère de l’Agriculture facilitant la vente des produits fermiers. Signifiées par instruction technique du ministères, la première concerne les «conditions de vente selon le statut sanitaire (suspension des limites de volumes par exemple) pour pouvoir écouler du produit sur d’autres circuits (…) notamment dans les enseignes de la grande distribution» , tandis que la seconde autorise «la vente de lait cru directement au consommateur (…) par simple déclaration, tout en respectant la règlementation sanitaire en vigueur». Les organisations précisent toutefois être en attente de réponses sur d’autres poins.
L’interprofession Val’hor se satisfait de l’autorisation donnée par les pouvoirs publics (1er avril) aux «des jardineries qui vendent de la nourriture pour animaux peuvent proposer à la vente l’ensemble des produits du magasin» ainsi que de la «requalification des semences et plants potagers en produits de première nécessité». La Fédération nationale des magasins de jardinerie a pu ainsi mettre au point, souligne son président Benjamin Dejardin «un guide de bonnes pratiques très rigoureux pour veiller au strict respect des mesures sanitaires». Pour l’interprofession, son président Mikaël Mercier salue une décision qui «conforte les capacités des entreprises à reprendre, métier par métier, le chemin de l’activité dans un souci de responsabilité civique». Val’hor incite les «points de vente de privilégier l’approvisionnement en plantes et fleurs françaises».
Le Syndicat des éditeurs de la presse magazine tient à saluer la proposition de la députée Aurore Bergé de «crédit d’impôt sur les investissements publicitaires des annonceurs» pour venir en soutien à la presse. Une solution «intelligente et indispensable», dont le SEPM souhaite qu’elle fasse l’objet «d’une mise en œuvre rapide».
Ile de France Habitat et les Coop’HLM alertent par courrier le ministre chargé du Logement pour lui faire part de leurs requêtes, suite au constat que la «situation financière fragilisée des organismes, lié au dispositif de Réduction de loyer de solidarité (RLS), ne leur permettra pas de faire face au niveau de dégradation de la situation». Le président de IDF Habitat Jean-Jacques Guignard préconise au ministre diverses mesures: «moratoire permettant de suspendre le paiement des loyers pour les familles les plus en difficulté», «fond de solidarité, pouvant passer par les FSH ou FSL, et devant se substituer au non-paiement total ou partiel des loyers», «mise en place de commissions ad hoc décentralisées afin d'analyser l'ensemble des situations avec des critères adaptés».
La Fédération des EPL (élus des entreprises publiques locales) se rallie à l’avis de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), de la Fédération des sociétés immobilières et foncières (FSIF) et de l’Union nationale des aménageurs (UNA), pour émettre des réserves sur le guide de l’OPPBTP validé par le Gouvernement pour faciliter la reprise des chantiers. Les 4 organisations, non sans avoir rappelé qu’elles n’ont pas été «associées à l’élaboration de ce guide», considèrent notamment qu’il aborde des «aspects contractuels et de partage des responsabilités entre acteurs qui ne relèvent pas de la compétence de l’OPPBTP» et que certains annexes «s’immiscent indûment dans les relations contractuelles». Pour elles, il faut clairement que «chaque intervenant assume pleinement sa responsabilité d’employeur – comme prévu par le code du travail – pour préserver la santé et la sécurité de ses salariés». Elles se disent néanmoins prêtes à participer au travail complémentaire que l’État a annoncé aux «autres intervenants d’un chantier», avec un œil attentionné sur la question des «relations contractuelles privées».
Le Syndicat des musiques actuelles (SMA) interpelle, conjointement à nombreuses structures festivalières le ministre de la Culture, le ministre de l’Intérieur, le chargé de gestion du déconfinement (Jean Castex), sur la possibilité de «pouvoir organiser nos événements», sous réserve «que la situation sanitaire le permette et que nous soyons en mesure de garantir la santé et la protection des personnes sur nos sites». Pour les adhérents du SMA, il est urgent de pouvoir disposer d’une «visibilité», dont elle espère qu’elle pourra leur être apportée par la «cellule d’accompagnement des festivals» mise en place par les pouvoirs publics. En outre, les signataires demandent à «connaitre les garanties que le Gouvernement est prêt à nous apporter pour préserver le tissu des festivals français», eu égard aux pertes de recettes et déséquilibre budgétaire notamment. Appel est aussi lancé à une «solidarité entre toutes les parties prenantes de notre secteur, afin qu’aucune entreprise ne soit victime de ce contexte».
La veille sociale des syndicats
Définition de secteurs prioritaires afin de mieux protéger les salariés… Révision des principes des ordonnances sur le temps de travail… Règles contraignantes en matière de dividendes et de fiscalité pour les grandes entreprises… La mobilisation syndicale reste à l’ordre du jour même si le contexte exceptionnel est bien compris. Pour les organisations de salariés, il est clair que la relance ne doit pas se faire au détriment du social.
Le secrétaire général de la Confédération générale du travail, Philippe Martinez, adresse par courrier (en date du 6 avril 2020) au Président de la République, un plaidoyer pour les «réorientations majeures sont indispensables pour bâtir une société juste, solidaire et durable dans les domaines économiques, sociaux et écologiques». Le leader de la CGT tient à légitimer le préavis de grève dans les services publics (lancé le 24 mars 2020, pour la période du 1 au 30 avril-NDLR) par le fait que la «stricte protection des salariés» doit être garantie, dans le secteur public comme dans le secteur privé. Pour la Confédération, il est «tout à fait urgent de procéder à la définition des activités essentielles et à la fermeture immédiate de celles ne contribuant pas aux besoins vitaux», et éventuellement à des «nationalisations» (pour celles qui le sont-NDLR), ce tandis que la reconnaissance des atteintes du COVID-19 comme «maladie professionnelle», pour tous les salariés, doit être envisagée.
Clairement opposé «aux mesures dérogatoires au Code du travail dans les domaines du temps de travail», le secrétaire général de la CGT demande que soit déclaré «l’État de catastrophe sanitaire afin de mettre à contribution, par exemple, les assurances et permettre le paiement du chômage partiel à 100%», que soit imposé à toutes entreprises «la suppression des dividendes aux actionnaires» et renforcé le «contrôle des aides publiques» qui leur son allouées, ainsi que l’«interdiction de tous les licenciements (…) et la suspension immédiate de tous les PSE ou plans de restructuration». Parmi les autres exigences immédiates que porte le syndicat de salariés figurent aussi «une augmentation immédiate du SMIC» et une «augmentation significative du point d’indice dans la fonction publique», «au-delà d’un paiement à 100% du chômage partiel, le maintien des cotisations sociales, permettant l’accès de tous à la protection sociale complémentaire (santé et prévoyance)».
Philippe Martinez évoque ensuite les «mesures de transformation de la société» à plus long terme. La CGT prône spécifiquement un «100 % Sécu sur la base du salaire socialisé, fondée sur les principes fondateurs de la Sécurité sociale, que sont la solidarité et l'universalité, en intégrant de nouveaux besoins non encore couverts et adaptés aux nouvelles formes du travail». Elle est par ailleurs partie prenante de la tribune pour «anticiper et bâtir le “jour d’après”» et à ce titre favorable aux «pistes» que sont: la «relocalisation des activités», la «réorientation des systèmes productifs, agricoles, industriels et de services», «soutiens financiers massifs vers les services publics», «remise à plat des règles fiscales internationales afin de lutter efficacement contre l’évasion fiscale».
Force ouvrière, par la voix de son secrétaire général Yves Veyrier, prend acte des propos du ministre des Finances (après le conseil des ministres), concernant les «secteurs essentiels» tout en rappelant que «les conditions de transport doivent être elles-mêmes sécurisées», ainsi que de «l’engagement de l’État en faveur de l’activité partielle». En revanche, la confédération demande l’abandon des décrets «prévus pour la mise en œuvre de l’ordonnance donnant la possibilité de déroger au temps de travail, au temps de repos et au travail dominical», la mise en œuvre de «de dispositions réglementaires interdisant les versements de dividendes ainsi que (…) d’une fiscalité d’urgence sur les hauts revenus et la spéculation». Pour FO, la prise de majorité au capital par l’État ou la nationalisation doivent être envisagées pour pallier les difficultés de certains secteurs.
La fédération Finances publiques de la CGT pour sa part, rappelle aux pouvoirs publics qu’ «aucun agent ne doit être mis en danger sanitaire dans la réalisation de ses missions par manque d’anticipation ou manque de mesures de protections concrètes». Une alerte plus spécifiquement liée à «l’approche de la campagne IR (impôt sur le revenu-NDLR»), mais qui vaut de manière plus générale. Le syndicat demande que l’activité des services de la DGFIP (direction générale des finances publiques-NDLR) soit réajustée dans le cadre d’une «définition exhaustive du PCA (plan de continuité d’activité-NDLR)» centré sur les «missions essentielles». Le syndicat préconise aussi le «confinement le plus large possible des agents à leur domicile accompagné d’un déploiement du télétravail», que soient assurées la «fourniture de moyens» et la mise en œuvre des «barrières matérielles de protection» pour les agents contraints de travailler sur site, ainsi que «l’amélioration et le renforcement des prestations de nettoyage et désinfection», l’application stricte des recommandations de l’OMS concernant la quarantaine en cas d’agent contaminé. Enfin, le syndicat en appelle au «respect du droit d’alerte et de retrait (…) qui ne peut être remis en cause qu’à l’appréciation souveraine des tribunaux».
Au sein des fédérations Filpac et Fapt CGT, appel à mobilisation est lancé pour faire en sorte qu’ «Aucune parution des abonnés postés ne (sorte-NDLR) des imprimeries tant que le groupe La Poste ne revient pas sur cette mise en danger des travailleurs les plus précaires» et que «dans les plateformes du groupe La Poste, tout (soit-NDLR) mis en œuvre dès ce jour pour empêcher les abonnés d’être distribués par d’autres salariés que les postiers en titre, dans les conditions sanitaires et de sécurité les plus optimales». Les syndicats entendent ainsi dénoncer la manque de moyens de protection pour les agents, aggravé par l’appel à «3 000 “volontaires” pour distribuer la presse le lundi et le mardi, dans un premier temps, et pour renforcer les tournées des facteurs le mercredi, dans certains territoires, notamment pour la distribution des colis». Une pratique d’autant moins justifiée, selon les syndicats, que l’entreprise, en recourant en partie, pour ce faire, au personnel de sa filiale Mediapost, est «en totale contradiction avec le message audio adressé par la directrice générale de Médiapost aux distributeurs le 27 mars dernier, les informant de leur mise en chômage partiel afin de préserver leur santé et celle de leurs proches, et de contribuer à ralentir l’épidémie de COVID 19». Les fédérations exigent par ailleurs une organisation ad hoc pour «la distribution postée de la presse et du courrier», supposant non seulement que « priorité doit être donnée à la distribution des colis liés au médical et aux besoins sociétaux et sociaux urgents des usagers, ainsi qu’à la diffusion de la presse d’information», mais aussi que faute de conditions de sécurité suffisantes, les salariés puissent faire valoir leur «droit de retrait».
Le FAGT-FO, les fédérations correspondantes de la CFE-CGC et la CFTC, saisissent par courrier le délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution pour lui demander de plaider une «fermeture dominicale généralisée» auprès des enseignes adhérentes. Les syndicats considèrent que cette décision «répondrait à deux nécessités impératives: d’abord de participer à limiter les déplacements de la population et permettre aux salariés, éprouvés physiquement et psychologiquement, de se reposer et de s’occuper de leurs familles bien souvent confinées et inquiètes quant aux risques encourus». Concrètement rappellent-ils, «pour éviter toute distorsion de cette concurrence, une position claire et commune sur la fermeture des magasins le dimanche doit être rendue publique», tandis que «concernant les enseignes qui ouvrent leurs magasins le dimanche toute la journée, mais sans salarié présent, la surface de vente doit être également fermée pour (en-NDLR) permettre l’assainissement».