1946-2017: des caisses autonomes à la sécurité sociale des indépendants (SSI)

En 1948, les professions indépendantes sont dotées de régimes autonomes de retraite, par dérogation au régime de sécurité sociale récemment institué. La création en 2005 du Régime social des indépendants amorce un rattachement à la sécurité sociale des salariés sous tutelle de l’État. La Sécurité sociale des indépendants couvre près de 5 millions de professionnels.


L’obligation d’une assurance vieillesse des travailleurs indépendants hors secteur agricole est instituée par la loi du 13 septembre 1946 (IVe République). Celle du 17 janvier 1948 entérine la création de caisses dédiées à la gestion des régimes autonomes. Celui des artisans (AVA) est pris en charge par la Caisse de compensation de l’assurance vieillesse des artisans (Cancava), tandis que les professionnels de l’industrie et du commerce sont tenus de s’affilier à l’Organisation autonome nationale de l’industrie et du commerce (Organic). Les professions libérales disposent aussi d’un régime spécifique pris en charge par la CNAVPL et ses sections professionnelles.

Une distance concrète et symbolique au régime des salariés

Il est donc convenu une exception au projet de régime général issu de l’ordonnance du 2 octobre 1945. Elle s’explique par des caractéristiques culturelles intégrant aussi bien des aspects concrets que des représentations. Les artisans et commerçants revendiquent un statut et un mode d’exercice différent de celui des salariés, en particulier l’absence de tout lien de subordination à un employeur, la propriété de leur outil de travail. À l’exception des prestations d’allocations familiales, dont la généralisation s’est engagée dans les années 1930, la logique d’une sécurité sociale ne s’est pas imposée à eux.

La méfiance vis-à-vis d'un modèle étatiste

Le régime général de Sécurité sociale de 1945 est perçu comme un système pour les pauvres, ce qui n’empêche pas que le montant de prestation accordé par l’organisation autonome sera inférieur à celui accordé au salarié. Il présente, surtout, deux traits que l’on retrouvera en toile de fond des grandes contestations professionnelles des années 1950 (mouvement poujadiste) et 1970-80 (Cidunati), à savoir une méfiance instinctive vis-à-vis de la fiscalisation, de l’étatisation et de la bureaucratisation, mais aussi vis-à-vis des grandes institutions professionnelles de type organisation patronale et, surtout, syndicale censées piloter le système. Témoin encore de cette identité culturelle la contestation permanente à l’égard du Régime social des indépendants créé dans les années 2000.

Le RSI, amorce d’une sécurité sociale des indépendants

La fin des années 1960 coïncide avec le début de la grande problématique du modèle financier et organisationnel du modèle de 1945, matérialisé par la réforme Jeanneney de 1967 (Ve République), dont l’un des aspects est la volonté des pouvoirs publics de reprendre la main sur une gestion unifiée des risques: assurance maladie, assurance vieillesse, accidents du travail et maladies professionnelles, invalidité, décès, allocations familiales.

L'impact croissant des auto-entrepreneurs

Le dispositif spécifique aux indépendants doit intégrer ces dimensions. La loi du 13 juillet 1966 (Ve République), institue une caisse d’assurance-maladie, la CANAM. Suit la création de régimes de retraites complémentaire en 1979 pour les artisans, en 2004 pour les commerçants. Parallèlement, le contrôle par la puissance publique prend la forme plus « positive » de mécanismes compensatoires (1974) visant à soutenir les régimes en difficulté, comme c’est le cas pour la Cancava et l’Organic, impactés par l’évolution défavorable de leur potentiel d’affiliés et de leur ratio contributeur/bénéficiaire.

S’il est vrai que la tendance s’inversera dans le courant des années 2000, l’arrivée massive d’une nouvelle sociologie d’indépendants, soutenue par la création du statut d’auto-entrepreneur en 2009, sera quelque peu problématique pour le nouveau système unifié de sécurité sociale des indépendants qu’instaure l’ordonnance du 8 décembre 2005 entérinant la fusion des trois régimes au 1er juillet 2006 sous le Régime social des indépendants. L’évolution vers cette structure unifiée s’est réalisée avec l’assentiment des caisses préexistantes, dans la mesure où est préservée une non-disparition dans le régime général, en convergence avec le souhait des pouvoirs publics de simplifier le système existant. Le triptyque Canca/Organic/Canam fusionne en une caisse nationale unique et 30 caisses territoriales. L’administration en est assurée par les professionnels. En 2012, une convention d’objectifs et de gestion (COG) est passée avec l’État dont l’échéance est 2017.

L’étatisation et l'entrée dans le régime général

C’est le deuxième bloc de sécurité sociale qui se constitue: il représentera pas moins, en 2016, 4,6 millions de bénéficiaires de l’assurance-maladie, pour 2 millions de retraités et quelque 2,8 millions de cotisants. Pourtant, il va connaître de sérieuses difficultés, invalidant notamment l’argument de simplification avancé par les pouvoirs publics. En fait, la fusion des régimes a posé un problème de partage des missions entre les réseaux de l’Agence centrale des organismes de Sécurité sociale, des URSSAF, du RSI et des organismes conventionnés, auquel s’est ajouté celui de la convergence des systèmes d’information, dont l’imputation est controversée (RSI ou Urssaf?). Des dysfonctionnements d’autant plus dommageables que la démographie concernée, sous l’effet notamment de l’intégration des auto-entrepreneurs, est plus difficile à qualifier.

Mettre fin à la crise endémique du RSI

Entre récrimination des assujettis (sur les taux de cotisation, la transparence des règles de calcul, les aléas de leur recouvrement, la lisibilité de la procédure, la dématérialisation des relations aux agents…), et critiques de la Cour des comptes (sur l’inefficacité financière), et en suivant, des parlementaires, une nouvelle phase d’unification a été actée en 2017 (LPFSS 2018), avec la substitution au RSI d’une Sécurité sociale des indépendants intégrée au régime général effective depuis le 1er janvier 2018 pour être définitive en 2020. L’opération concerne donc aussi le régime complémentaire de retraite des indépendants (RCI), qui ne connaissait pas, en revanche, de difficultés financières.

Tout comme les salariés, les indépendants cotiseront directement auprès de l’Urssaf, relèveront de la Carsat pour leur retraite et de la la Cpam pour l’assurance-maladie. En tant que caisse déléguée du régime général, la SSI est administrée par un conseil de 50 membres délégués par les professionnels, qui élit un bureau de 10 membres. Son premier président est Louis Grassi. Les 29 caisses régionales du RSI deviennent des agences du SSI.

Le régime général absorbe la SSI

La mutation du système (et notamment le transfert institutionnel vers le régime général) avalisée par la loi de financement de la sécurité sociale 2018 devrait être achevée à fin février 2020. A priori, et sous réserve du projet d'intégration des régimes dits autonomes dans le cadre de la réforme des retraites engagé en 2019, les professions libérales continueraient, à cette échéance, à relever de leur caisse actuelle d'affiliation pour les prestations de retraite.

 

Principales sources et références
-  «La protection sociale des non salariés et son financement», rapport du Haut Conseil du financement de la protection sociale, 2016; accessible en ligne sur le site de la Documentation française
-  «Le régime social des indépendants (RSI)», Monique Weber, Les avis du CESE, 2015; accessible en ligne sur le site de la Documentation française
- Site de la Sécurité sociale des indépendants
- «Intégration des travailleurs indépendants au régime général», Dossier de presse Ameli, décembre 2019