Dans les années 1940, le souhait de professions libérales des secteurs juridiques, de l’ingénierie et médicaux, de s’organiser aboutit à la création de la plupart des institutions ordinales françaises : 13 à ce jour. Les ordres ont vocation à représenter les professions, mais aussi et surtout à garantir la qualité des pratiques et le respect d’une déontologie au-delà du service marchand.
Une loi du 7 octobre 1940 institue l’ordre des médecins, première d’une législation prolixe du régime de Vichy, puisque sont également créées, entre 1940 et 1943, des institutions ordinales pour les architectes, les vétérinaires, les experts-comptables, les huissiers de justice. La reconnaissance d'institutions professionnelles spécifiques des professions libérales des secteurs du droit, de l’ingénierie, de la médecine se confirmera ensuite, nonobstant l’abolition, par le Gouvernement provisoire de la République (GPR) de la législation vichyssoise.
La décision traduit une attitude ambiguë des pouvoirs publics. S’il existe, depuis le début du XIXe siècle des ordres pour régir les activités très anciennes des notaires et des avocats, les décrets d’Allarde et loi Le Chapelier vont empêcher, durant près d’un siècle, l’officialisation de tout corps intermédiaire représentatif des professionnels libéraux. Les lois de Vichy, certes spécifiques, traduisent une véritable instrumentalisation des acteurs concernés, entre idéologie de la corporation pré-révolutionnaire et montée en puissance du pouvoir technocratique.
Au moment où l’ordre est reconnu, le syndicat est interdit. Et l’institution ordinale est clairement sous tutelle de la puissance publique, puisque ses membres sont nommés par le ministre. Elle a par ailleurs obligation d’appliquer des critères raciaux pour la reconnaissance de l’exercice professionnel. Le retour à l’ordre républicain porté par le gouvernement issu de la Résistance s’accompagne d’un retour à la gouvernance démocratique par les professions et au principe d’égalité d’accès pour tout citoyen français.
L’ordre des médecins préfigure les autres ordres médicaux
L’institution ordinale de médecins procède d’une demande engagée depuis près d’un siècle mais qui s’accélère à partir de la reconnaissance des syndicats de 1884. Depuis le Congrès médical de France, en 1845 (Monarchie, règne de Louis-Philippe), les médecins s’efforcent de se doter d’une instance collective assurant une discipline interne. L’Association générale des médecins de France, organisme de secours mutuel créé en 1854 (Second Empire, Napoléon III), milite également pour la création d’un ordre. La loi de 1884 sur les syndicats (IIIe République) relance l’idée d’un «Conseil médical» puis d’une «Société centrale de déontologie».
Suite à la loi Chevandet de 1892 (sur laquelle s’appuiera l’ordonnance de 1945) et qui reconnaît la légalité des syndicats médicaux, émerge l’Union des syndicats médicaux de France (USMF). Mais et notamment sous son égide, le principe d’un ordre fait polémique au sein de la profession. L’Union finira néanmoins par s’y rallier en 1929, tandis que la représentation parlementaire se saisit du sujet et que, de 1928 à 1940 de multiples projets sont envisagés. La loi de 1940 les reprend en partie en créant un conseil supérieur de la médecine (puis conseil national en 1943) et des conseils départementaux. Sa mise en application créera, comme dans d’autres secteurs de la société à l’époque, un malaise certain et écornera quelque peu l’image des ordres professionnels.
Par l’ordonnance n°45-2184 du 24 septembre 1945, les autorités républicaines confirment l’utilité d’un ordre professionnel, désormais doté d’un conseil national (CNOM) comme instance disciplinaire supérieure, de conseils régionaux comme instance disciplinaire courante et de conseils départementaux comme structure de base de l’organisation (tableau de l’ordre) et de sa gouvernance, sachant que c’est à cet échelon que sont élus les représentants au conseil national (54 membres). L'institution ordinale doit se doter d’un code de déontologie ratifié par décret en Conseil d’État.
En 1945, le niveau régional coïncide avec «la région sanitaire», entité non-administrative. À partir de 1982, il s’organise en cohérence avec le périmètre des entités régionales nouvelles, révisé en 2015. Le même texte duplique le principe pour les professions de dentiste et de sage-femme, sachant que l’ordre des sages-femmes (jusque dans les années 1970) est sous tutelle des médecins. Depuis 2022, la présidence de l'Ordre des médecins est assurée par le docteur François Arnault.
Une institutionnalisation ordinale adaptée aux professions de l’ingénierie et du conseil
Avec la loi du 31 décembre 1940, les architectes inaugurent la création d’institutions ordinales spécifiques aux professions de l’ingénierie, de la technique et du conseil, telles encore que les experts-comptables, les géomètres-experts, les vétérinaires.
Ici, la décision publique entérine le souhait des professionnels de réglementer leur profession afin de lui apporter une certaine homogénéité et de la démarquer d’autres métiers de la construction. Le processus a notamment été préfiguré un siècle auparavant avec la création de la Société centrale des architectes français (1840) autour de la question d’un diplôme qualifiant. Or, l’architecture procède de l’école des beaux-arts, contrainte par l’Académie, l’Institut et le système du «Prix de Rome», et qui n’a au demeurant aucune vocation à former.
Sous le Second Empire, plusieurs initiatives – réforme de l’école sous l’impulsion de Viollet-le-Duc (1863), naissance de l’école centrale d’architecture (1865) – conduisent à reconnaître la légitimité d’une formation spécifique aux architectes. La création de la Société des architectes diplômés par le Gouvernement (SAGD) en 1877, vise à installer la reconnaissance du diplôme qui leur est délivré à l’école des beaux-arts depuis 1867, à justifier l’exception par rapport à la réglementation qui régit l’activité commerciale, à solidariser les professionnels via une caisse de secours.
La notion de «conseil de discipline» y émerge en 1902 en corrélation avec un « code des devoirs professionnels », tandis que s’efface la Société centrale. En 1915, la SADG est reconnue d’utilité publique. Entre 1921 (proposition de loi de Félix Liouville tendant à instaurer le titre d’architecte) et 1939, le principe d’un ordre se préfigure, non sans controverses internes à la profession et ses instances fédératrices (Société centrale, SADG, Société des architectes français). La loi de 1940 institue un conseil supérieur de l’ordre ainsi que des conseils régionaux sous tutelle de l’éducation nationale. Le texte sera amendé par le Gouvernement provisoire de la République.
Mais l’accès à une pleine et entière institution ordinale n’opère qu’avec la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture complétée par décret du 18 décembre 1977 (Ve République). La profession est régie par un ordre, à statut de personne morale de droit privé exerçant une mission de service public, structurée spécifiquement dans la mesure où il existe un échelon national (le conseil supérieur, aujourd’hui conseil national, CNOA) et régional (CROA), mais pas départemental. La même loi crée en effet les conseils d’architecture, d’urbanisme et d’environnement (CAUE) sous statut associatif mais chapeauté par la collectivité publique qui interviennent dans le département. Lors du dernier renouvellement des instances de l’ordre, le nombre des CROA a été aligné sur celui des nouvelles régions administratives. Le CNOA (24 membres) est composé de membres exerçant un mandat au sein des CROA. Il est présidé depuis juin 2024 par Christophe Millet.
L’Ordre des architectes est par ailleurs, avec le ministère de la Culture, le principal soutien au Réseau des maisons de l’architecture (32), associations ayant pour objet de diffuser la culture architecturale en interne et en externe.
Les autres ordres organisés dans l’ordre républicain retrouvé
Comme pour les autres ordres, la caractérisation en tant que «personne morale de droit privé assurant une mission de service public» intervient avec l’arrêt «Bougen» du Conseil d’État de 1943. Par la même ordonnance du 24 septembre 1945, le Gouvernement provisoire de la République entérine la création:
• de l'Ordre des chirurgiens-dentistes (ONCD) et de l'Ordre des sages-femmes (CNOSF), respectivement présidés parAlain Durand et Anne-Marie Curat.
• de la Chambre nationale des huissiers de justice (loi du 20 mai 1942, ordonnance n°45-2138 du 19 septembre 1945 (complétée par le décret n°56-222 du 29 février 1956) réorganisant le statut des huissiers et créant (art.8) une chambre nationale (CNHJ) sous forme d’établissement d’utilité publique. Le ressort territorial de la CNHJ est calé sur celui des institutions judiciaires. Son président actuel est Patrick Sannino.
• de l’Ordre des experts-comptables (loi du 3 avril 1942, ordonnance n°45-22592 du 2 novembre 1945, complétée par un décret du 15 octobre) avec conseil supérieur (aujourd’hui CSOEC), régional et départemental. Lionel Canesi en assure aujourd'hui la présidence.
En 1945, une organisation spécifique aux pharmaciens voit le jour toujours via une ordonnance (5 mai) du GPR, en remplacement des chambres départementales et conseils régionaux créés par Vichy en 1940. Le CNOP est aujourd'hui présidé par Carine Wolf-Thal. En 1946, l'Union nationale des géomètres-experts constituée au début du XXe siècle obtient la reconnaissance d'une institution ordinale par la loi n° 46-942 du 7 mai 1946 (IVe République). Elle est aujourd'hui présidée par Séverine Vernet. En 1947, une loi du 23 août valide le principe d'un Ordre des vétérinaires, issu des lois de février 1942 puis juin 1944, avec conseil supérieur, échelon départemental et régional; il est actullement présidé par Jacques Guérin.
L’ordonnance sur les professions médicales de 1945 est en lien avec la perspective de la Sécurité sociale. Néanmoins, les professions à ordre continuent à relever de régimes autonomes de protection sociale établis par la loi 48-801 du 17 janvier 1948.
Trois nouvelles institutions ordinales dans les années 2000
16 instances de régulation et de représentationpourprès de 1,5 millions de professionnels
Le retour de l’esprit «Le Chapelier»?
Sources et références principales
- «Historique du Conseil national de l'Ordre des médecins» , Jean Pouillard, Histoire des sciences médicales, 2005
- «De la S.A.D.G. à la S.F.A., Histoire d'une société d’architectes», volumes 1 (Marie-Jeanne Dumont) et 2 (Eve Jouannet), Tribune d’histoire de l’architecture, 1992
- «Ordonnance n°45-2184 du 24 septembre 1945 relative aux ordres des médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes», fac-similé, disponible sur le site Légifrance
-«Loi du 31 décembre 1940 instituant l'Ordre des architectes», fac-similé disponible sur le site de l’ordre des architectes.
- Sites internet des ordres, CLIO, Maisons de l’architecture, Conseil d’État