Le Conseil économique, social et environnemental est une assemblée consultative de la République originale, puisqu'elle regroupe des représentants économiques et sociaux (patronat, syndicats, associations). Elle a vu le jour en 1925, sous forme d'un Conseil national économique.
NOTA
IIIe République, XIIIe législature, présidence de la République de Gaston Doumergue, gouvernement d’Édouard Herriot (Président du conseil). Ce texte s’inscrit dans la production législative du Cartel des gauches (1924-1927). Le ministre des Finances de tendance radicale Étienne Clémentel, par ailleurs l’un des initiateurs de la création de la Confédération générale de la production française (ancêtre du Medef de 1920), fut le grand artisan de cette décision.
Le texte est précédé (cf. Annexe) d’un rapport au Président de la République invoquant notamment «la complexité de la vie économique et sociale, qui est telle que les différents départements ministériels qui ont pour tâche de développer ou de contrôler l’activité économique de la nation, n’ont pas entre eux un lien suffisant» et la nécessité pour le Gouvernement de pouvoir «se trouver en état d’utiliser les avis consultatifs émanant de personnalités qui, outre leur compétence spéciale et technique, puissent être considérées comme représentant la pensée des grandes organisations professionnelles qui les auront déléguées». Il est toutefois précisé que le CNE n'est pas l'équivalent statutaire du Parlement. La place du Conseil dans la hiérarchie administrative, ses missions, sa composition, son financement, sont ensuite définis.
Les articles 3 et 4 fixent la composition du CE à «quarante-sept membres représentant les différentes forces économiques et sociales de la nation» (consommateurs, monde du travail, monde du capital), «délégués, dans chaque catégorie, par la ou les organisations les plus représentatives».Le président du Conseil est membre de droit de l’institution, laquelle «élit à la majorité absolue, son vice-président et son bureau et fait son règlement» (art.8). Le Conseil est habilité à émettre des «rapports (…) ou avis transmis par le secrétariat permanent» (art 17), «sur tous les projets ou propositions de loi présentant un intérêt économique» (art. 18), et qui seront joints «au dossier adressé au conseil d’État». Rien n’est précisé, en revanche, quant au mode de financement de l’institution, ni de la rémunération de ses membres.
En 1936, une loi (19 mars) précise son statut et législatif en modifie l’organisation. Supprimé sous le régime de Vichy, il sera légitimé durablement par la Constitution de 1946 (IVe République) en tant que «Conseil économique et social». Ses attributions, son fonctionnement, son reprisées par ordonnance du 29 décembre 1958 (Ve République). La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 et la loi organique du 28 juin 2010 ajoutent « l’environnement » à ses attributions, réorganisent la composition de l'institution professionnelle.
Une nouvelle réforme (3) souhaitée par le Président de la République (2019), présentée au Parlement en juillet 2020, actée enfin par la loi organique du 15 janvier 2021, est entrée en vigueur le 1er avril 2021. Elle introduit notamment une participation citoyenne (conseillers, participation sous forme de conventions, pétitions), réduit le nombre de conseillers de 223 à 175, donne la primauté à ses avis sur tout «projet de loi portant sur des questions à caractère économique, social ou environnemental (…)» et acte «la mise en place d'une procédure simplifiée qui permet (…) de réaliser des retours rapides sur certains sujets qui le nécessitent». Le nouvel exécutif du CESE, élu le 17 mai 2021, a vu l'élection à sa présidence de Thierry Beaudet (Mutualité française), et celle de Sébastien Windsor (président des chambres d’agriculture) et Pascale Coton, syndicaliste CFTC, aux postes de premiers vice-présidents.
Décret du 16 janvier 1925 portant constitution du Conseil national économique (1)
Le Président de la République française,
Sur le rapport du président du Conseil, ministre des Affaires étrangères, Décrète (2):
Article 1
Il est institué un Conseil national économique ayant pour fonctions d’étudier les problèmes intéressant la vie économique du pays, d’en rechercher les solutions et de proposer l’adoption de ces solutions aux pouvoirs publics. Les attributions du conseil national économique, autonome dans sa composition, sont administrativement d’ordre consultatif.
Article 2
Le Conseil national économique est rattaché à la présidence du Conseil. Il sera pourvu à ses dépenses par des crédits inscrits au titre du budget du ministère du Travail.
Article 3
Le Conseil national économique est composé de 47 membres représentant les différentes forces économiques et sociales de la nation, dans les proportions ci-dessous indiquées:
I. – Population et consommation.
a) Coopération de consommation et ligues d’acheteurs : 3
b) Association des maires, municipalités : 2
c) Usagers des services publics : 2
d) Pères et mères de famille et mutualité : 2
II. – Travail.
A – Travail intellectuel et enseignement 3
B – Travail de direction :
a) Industrie : 3
b) Agriculture : 3
c) Commerce : 2
d) Transports : 1
e) Coopération : 1
F) Services publics : 1
C. – Travail salarié :
a) Fonctionnaires : 2
b) Techniciens : 2
C) Main-d’œuvre
1. Industrie : 5
2. Commerce : 2
3. Agriculture : 1
4. Transports : 2
D. – Métiers urbains et ruraux (artisans) : 2
III.– Capital.
A.– Capital industriel et commercial.. 3
B.– Capital immobilier (propriété rurale et urbaine) : 2
C.– Banque, bourse, assurance et caisses d’épargne : 3
Article 4
Les membres du Conseil national économique seront délégués, dans chaque catégorie, par la ou les organisations les plus représentatives. Ces organisations seront désignées par le Gouvernement, sur la proposition du ministre du Travail, après avis des ministres intéressés. Le président du Conseil fera connaître à ces organisations le nombre de représentants qu’elles auront à envoyer au Conseil. Il appartiendra au Conseil national économique de statuer pour le cas où la détermination de la ou des organisations le plus représentatives serait contestée.
Article 5
La durée du mandat des membres titulaires du conseil est fixée à deux ans. Il est prévu des membres suppléants, qui seront désignés dans les mêmes conditions que les membres titulaires. Il sera procédé au remplacement de chaque membre décédé ou démissionnaire de la même façon que lors de la désignation originaire et pour le laps de temps restant à courir.
Article 6
Les membres du Conseil doivent être Français, âgés de vingt-cinq ans au moins et jouir de leurs droits civils et politiques. Les femmes seront admises dans les mêmes conditions d’âge et de nationalité.
Article 7
Le Conseil national économique tiendra, chaque année, quatre sessions ordinaires de dix jours. Si des sessions extraordinaires sont nécessaires, le Conseil national économique pourra être convoqué par le président du Conseil, sur la proposition du Conseil national économique.
Article 8
Le président du Conseil est président de droit du Conseil national économique, qui élit, à la majorité absolue, son vice-président et son bureau et fait son règlement. Les membres du Conseil national économique titulaires (à défaut, les suppléants) et les experts, participent conjointement aux sessions. Seuls, les membres titulaires (à défaut, les membres suppléants) ont voix délibératives.
Article 9
Le Conseil national économique élit dans son sein une commission permanente de 10 membres. Il détermine les attributions et les pouvoirs qu’il lui délègue. La commission permanente élit son bureau, qui sera présidé par le vice-président du Conseil national économique. Elle assurera l’expédition des affaires courantes dans l’intervalle entre deux sessions, l’exécution des décisions prises par le Conseil national économique, la préparation de l’ordre du jour des séances dudit conseil.
Article 10
Le Conseil national économique aura un secrétariat général permanent. Le secrétaire général sera nommé par décret, sur la proposition du président du Conseil, après avis du ministre du Travail et du bureau du Conseil national économique.
Article 11
Le Conseil national économique établira la liste des experts qu’il juge nécessaire d’associer de façon permanente à ses travaux. Les ministres du Travail, de l’Hygiène, du Commerce, de l’Agriculture, des Finances, des travaux publics et des Colonies délégueront au Conseil national économique, chacun 2 experts, qui y siégeront de droit. Pourront également participer aux travaux du Conseil national économique, au même titre que les experts, le directeur des services du secrétariat général du Conseil supérieur de la défense nationale et le président de la commission permanente du Conseil supérieur de la défense nationale, ainsi que le représentant du Gouvernement français au conseil d’administration du Bureau international du travail.
Article 12
Lorsqu’une question intéressera une catégorie économique ou professionnelle non représentée au Conseil de façon permanente, le Conseil national économique admettra, pour l’étude de cette question, des représentants de cette catégorie, qui participeront à ses travaux et qui seront désignés conformément aux dispositions de l’article 4.
Article 13
Tous les ministres, sous-secrétaires d’État, hauts commissaires, les commissions compétentes de la Chambre et du Sénat, auront le droit de se faire représenter aux délibérations du Conseil national économique et de sa commission permanente. Le Conseil pourra également demander à être entendu par les commissions compétentes de l’une ou de l’autre chambre, ainsi que par les ministres et membres du Gouvernement et leur demander de se faire représenter à ses délibérations ou à celles de sa commission permanente, au cas où ils n’auraient pas déjà délégué des fonctionnaires de leur département.
Article 14
Le Conseil national économique pourra créer les organes permanents nécessaires à sa documentation et à ses publications.
Article 15
Le Conseil national économique est consulté directement par le président du Conseil. À la majorité des deux tiers des voix des membres présents, il peut également demander à son bureau d’inscrire à l’ordre du jour de sa prochaine session les questions qu’il estime présenter un intérêt économique soit au point de vue national, soit dans leurs incidences internationales.
Article 16
Les délibérations des travaux du Conseil national économique seront prises sous forme de rapports ou de recommandations, dont les conclusions seront publiées au Journal officiel.
Article 17
Les rapports constituent la forme ordinaire des communications ou avis transmis par le secrétariat permanent du Conseil national économique à la présidence du Conseil. Les recommandations devront être votées par les deux tiers des membres présents. Elles seront transmises, par le vice-président du Conseil national économique, au président du Conseil, qui fera connaître, dans le délai d’un mois la suite donnée ou demandera d’examiner à nouveau la question.
Article 18
Le Gouvernement adressera pour information au Conseil national économique, après leur dépôt, tous les projets ou propositions de loi présentant un intérêt économique. Toute loi d’ordre économique pourra prescrire la consultation obligatoire du conseil national économique, pour l’élaboration des règlements d’administration publique nécessaires à son application. L’avis du conseil national économique sera joint au dossier adressé au conseil d’État. La loi prescrira le délai dans lequel l’avis du conseil national économique, devra être fourni.
Article 19
Le président du Conseil, ministre des Affaires étrangères, le ministre du Travail, de l’Hygiène, de l’Assistance et de la Prévoyance sociales, le ministre des Finances, le ministre du Commerce et de l’Industrie, le ministre de l’Agriculture, le ministre des Travaux publics et le ministre des Colonies sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent décret.
Fait à Paris, le 16 janvier 1925,
Gaston Doumergue
Par le Président de la République :
Le président du conseil, ministre des Affaires étrangères, Édouard Herriot
Le ministre du Travail, de l’Hygiène, de l’Assistance et de la Prévoyance sociales, Justin Godart,
Le ministre des Finances, Clémentel,
Le ministre du Commerce et de l’Industrie, Raynaldy,
Le ministre de l’Agriculture, H. Queuille
Le ministre des Travaux publics, Victor Peytral,
Le ministre des Colonies, Daladier.
ANNEXE
Présidence du conseil, Conseil national économique, Rapport au Président de la République française, Paris, le 16 janvier 1925
Monsieur le Président,
Guidé par le souci d’unir, dans une solidarité étroite, toutes les forces productives et sociales de la France, j’ai chargé le ministre du Travail et de l’Hygiène d’instituer une commission en vue d’aboutir à la création, auprès de la Présidence du conseil, d’un organe destiné à étudier les grandes questions intéressant la vie économique du pays.
Cette commission vient d’achever ses travaux. Le décret ci-joint en contient les indications essentielles, en laissant de côté les dispositions qui nous ont paru, à l’heure actuelle, incompatibles avec l’organisation constitutionnelle et législative du pays. La création projetée peut être considérée comme ayant un précédent. En effet, il a déjà été institué, auprès de la Présidence du conseil, un Conseil supérieur de la défense nationale, qui a pour but de permettre au Gouvernement l’étude de l’ensemble des questions intéressant la sécurité de l’État. Le Conseil national économique devra rechercher, dans le domaine économique, un résultat analogue. Le président du Conseil supérieur de la défense nationale et le directeur du secrétariat général de cet organisme participeront, d’ailleurs, aux travaux du Conseil national économique.
Cette création est justifiée par la complexité de la vie économique et sociale, qui est telle que les différents départements ministériels qui ont pour tâche de développer ou de contrôler l’activité économique de la nation, n’ont pas entre eux un lien suffisant. D’autre part, l’importance des intérêts économiques est à ce point vitale que le Gouvernement et les pouvoirs publics doivent, à tous moments, se trouver en en état d’utiliser les avis consultatifs émanant de personnalités qui, outre leur compétence spéciale et technique, puissent être considérées comme représentant la pensée des grandes organisations professionnelles qui les auront déléguées au Conseil.
Ce conseil consultatif permettra au Gouvernement de poursuivre une politique synthétique et d’éviter l’écueil, toujours menaçant dans ce domaine, des décisions fragmentaires et insuffisamment coordonnées. Les diverses forces économiques du pays sont en effet à la fois solidaires et complémentaires.
L’organisation projetée a un caractère d’expérience. Elle ne sera, en aucune façon, un parlement ou même une chambre professionnelle, comme cela a été tenté dans certains pays voisins. Elle laisse entières la souveraineté du Parlement et l’autorité gouvernementale. Elle diffère cependant des conseils administratifs ou interministériels en ce que, composée de représentants désignés librement par les organismes professionnels ou sociaux les plus représentatifs. Elle cherchera des solutions générales. Elle constituera, pouvons-nous dire, un centre de résonance de l’opinion publique. Cet organisme devra constituer également un foyer de documentation économique important, accessible à la fois aux différents départements ministériels, aux deux Chambres et aux intéressés.
Pour toutes ces raisons, j’ai l’honneur de soumettre à votre approbation le projet de décret ci-joint, en vous priant de vouloir bien le revêtir de votre signature.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’hommage de mon respectueux dévouement.
Le président du Conseil, ministre des Affaires étrangères, Édouard Herriot.
1) Source : BNF Gallica, Journal officiel de la République française, samedi 17 janvier 1925, pp. 698 à 700 ; site du ministère de l’économie et des Finances, CAEF, centre des archives économiques et financières ; site du CESE.
2) Le texte source ne comprend pas la mention « article ». L’ortho-typographie en a été actualisée et le paragraphage adapté.
3) Communiqué et site CESE (17 mai 2021); communiqué de l'APCA (20 mai 2021); communiqué de la Mutualité française (18 mai 2021).