1919: un pôle chrétien du syndicalisme s'organise par la CFTC

CFTC

La naissance de la CFTC, en 1919, consacre l’émergence d’un pôle syndical à l’identité spécifique, inspiré par les valeurs chrétiennes, privilégiant la négociation et la proposition sur le rapport de forces entre patrons et salariés. En dépit d’une histoire difficile, la CFTC figure au nombre des grandes centrales interprofessionnelles françaises de travailleurs reconnues par la puissance publique.


C’est le 2 novembre 1919 (IIIe République) à Paris que se constitue la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC). L’émergence d’un syndicalisme lié au monde religieux date déjà de plus d’un demi-siècle, autour de la personnalité d’Albert de Mun (1841-1914), fondateur des «cercles ouvriers», mais qui envisage le syndicat à l’image de la corporation d’Ancien Régime, puis de la référence de l’encyclique «Rerum Novarum» (1891) qui fixe la doctrine du catholicisme social et reconnaît les droits des ouvriers et la question sociale. 

Le contrepoint chrétien de la CGT

La loi Waldeck-Rousseau de 1884 encourage la création d'institutions professionnelles de défense du salariat, dont à Paris, en particulier, le Syndicat des employés du commerce et de l’industrie (SECI) où se distinguent les figures de Jules Zirnheld (1876-1940) qui deviendra le premier président de la CFTC et de Gaston Teissier (1887-1960) qui en sera le premier secrétaire général. Les deux hommes s’attachent à légitimer et à structurer une confédération, non sans mal, compte tenu de rivalités avec la CGT, mais aussi de l’opposition du patronat et des conflits d’idées qui traversent aussi le monde catholique et la hiérarchie ecclésiastique.

Ouverte à tout travailleur mais hostile à l'antagonisme de classe

Si la CFTC reconnaîtra la Charte d’Amiens et l’idée que «les organisations syndicales doivent distinguer leurs responsabilités de celles des groupements politiques, et elle entend garder à son action une entière indépendance à l’égard de l’État, des gouvernements et des partis», elle n’en affirme pas moins comme primordiale l’affiliation aux «principes de la morale sociale chrétienne», même si elle se veut ouverte à tout travailleur, quelles que soient ses convictions religieuses, et le refus de «tout antagonisme de classe». Malgré une diffusion non négligeable auprès de la population ouvrière, le syndicat interprofessionnel chrétien a du mal à s’imposer en contrepoint de la CGT qui, en dépit de ses conflits internes, est le point de référence du mouvement syndical français. Au lendemain de la suppression des syndicats par le régime de Vichy, les représentants de deux centrales cosignent le «Manifeste des douze» tandis que leurs militants rejoignent en commun les mouvements de résistance – Gaston Teissier est ainsi l’un des fondateurs et animateur de Libération Nord.

Une représentativité acquise de haute lutte

Si la CFTC n’avait pas été conviée lors des accords de Matignon, elle est membre du Conseil national de la résistance et voit, au sortir de la guerre, sa légitimité reconnue par les pouvoirs publics comme par une population française à fort taux de syndicalisation. Durant les années 1950, tandis que l’opposition avec la CGT est revenue à l’ordre du jour, la confédération enregistre une hausse d’influence croissante, notamment auprès des secteurs industriels, mais son renouvellement démographique s’accompagne de débats internes qui aboutiront à la fois à une réflexion enrichie et la fracture formelle à venir. Ainsi de ses prises de position en faveur de la «dignité de tous les travailleurs» durant l’épisode Algérien, ses réserves marquées lors de l’accession au pouvoir du Général de Gaulle en 1958, sa participation distante aux mécanismes d’État bientôt doublée d’une opposition franche à la méthode des ordonnances de 1959. La CFTC critique aussi la timidité des mesures concernant les travailleurs prises par le pouvoir au regard d’une véritable «démocratie sociale» et d’une expression effective des salariés dans l’entreprise.

Au sein des grandes confédérations syndicales françaises

Le letimotiv de la rupture qui va s’opérer en 1964, c’est-à-dire, la dé-confessionnalisation, traduit aussi la montée en puissance d’une culture moderniste incarnée par le courant des « reconstructeurs », minoritaires au début de la décennie puis majoritaires en 1964. Favorable aux idées des premiers, mais soucieux de ménager les historiques, le secrétaire général Eugène Descamps (1922-1990) s’efforcera de dédramatiser le conflit. Au congrès d’Issy-les-Moulineaux de 1964, la rupture est néanmoins consommée et une partie des adhérents attachés à l’esprit de la confédération originelle décident de constituer une nouvelles CFTC. La même année, celle-ci est toutefois reconnue comme organisation syndicale disposant d’une «présomption irréfragable de représentativité». Elle sera ainsi partie prenante des Accords de Grenelle (1968). En dépit des difficultés générées par la crise de 1964, la CFTC demeure aujourd’hui l’unique organisation syndicale française interprofessionnelle d’obédience chrétienne. À l’instar de la CGT, elle propose une vision élargie de transformation de la société, mais sur la base d’un principe moral, et par opposition encore à la précédente, elle privilégie la  négociation» et la «proposition» par rapport au rapport de forces.  

Depuis sa création, la parole de la CFTC a été portée par 13 présidents, généralement passés par le secrétariat général confédéral auparavant. C’est une spécificité dans le modèle d’organisation des centrales les plus anciennes et, a fortiori, plus récentes, de même que l’existence d’un secrétariat confédéral en propre. Cyril Chabanier est aujourd’hui président de la confédération. Le président et le secrétaire général confédéral (actuellement Éric Heitz) sont désignés au sein du conseil confédéral, instance de direction permanente où siègent les représentants des fédérations les plus importantes et unions régionales, ainsi que des membres élus par le congrès confédéral. Le congrès fédéral est l’instance souveraine réunie tous les 4 ans, dont les attributions concernant la gestion courante sont déléguées à un comité national regroupant les présidents, secrétaires généraux ou trésoriers des unions départementales et des fédérations, ou de représentants dûment mandatés par leurs organisations respectives.

À ce jour, la CFTC revendique l’affiliation de 854 syndicats regroupés en 14 fédérations professionnelles. Son maillage territorial s’appuie sur des unions régionales, dont le ressort est désormais aligné sur celui des nouvelles grandes régions administratives, des unions départementales (sur l’ensemble de la métropole et de l’Outre-Mer) ainsi que des unions locales. Elle est du nombre des 5 confédérations syndicales interprofessionnelles représentatives au plan national et habilitée, comme telle, à siéger au Haut conseil du dialogue social. En 2017, elle recueille les suffrages de 560 618 salariés aux élections professionnelles (CE, délégués du personnel des entreprises, élus aux chambres d'agriculture), soit 9,48% d'audience, en progression de 29 milliers et 0,2% par rapport à 2013. Lors du renouvellement des chambres d'agriculture, en 2019, la CFTC obtenait 22,10% de suffragants salariés d'exploitations pour 7,20% des salariés de groupements, soit une progression très sensible par rapport à 2013. Lors des élections des délégués à la Mutualité sociale agricole, elle recueille près de 4% des suffrages du collège salariés.

En 2021, elle est confirmée dans son statut d'organisation interprofessionnelle représentative avec une audience de l'ordre de 9,50%. Ses représentants sont habilités à signer des conventions collectives dans près d'une soixantaine de branches, secteurs, activités, notamment dans les services de commerce non alimentaire (horlogerie, équipements ménagers, optique).

 

Principales sources et références
- «Histoire des syndicats en France», Dominique Andolfatto, Dominique Labbé, éditions du Seuil, 2011, 384 p., ISBN 13: 978-2021047165
- «La CFTC/CFDT et la politique sociale du général de Gaulle», Robert Vandenbussche,  Jean-François Sirinelli,  Marc Sadoun, éditions du Septentrion, 2018, ISBN 13: 978-2-90563-789-5
- «Le syndicalisme en France depuis 1945», René Mouriaux, éditions de La découverte, 1994, ISBN 13: 978-2-7071-5606-8
- «Ensemble militer autrement», Jacques Voisin et Philippe Arondel, éditions Desclée du Brower, 2008, ISBN 13: 978-2-22005-997-6
- «Pourquoi je suis syndicaliste», propos de  Philippe Louis, i éditions, collection Les points sur les i, 2016, ISBN 13: 973-2-35930-194-6
- Maitron en ligne : biographies de Jules Zirnheld, Gaston Teissier, Eugène Descamps
- «Mesure de la représentativité syndicale », Dossier de presse, ministère du Travail, de l'Emploi et de la Formation professionnelle, mars 2017
- Résultats des élections aux chambres d'agriculture 2013, communiqué, ministère de l'Agriculture; Cartographie interactive des résultats des élections aux chambres d'agriculture 2019, site Agriculture et Territoires.
- «Dossier de presse Élection des délégués de la MSA 2020», février 2020; accessible en ligne sur le site de la MSA. 
- Statuts de la CFTC, accessibles sous format pdf sur le site de la CFTC Paris
- Site de la CFT
- Audience et représentativité syndicale: les résultats pour le cycle 2017-2020; communiqué du ministère du Travail, mai 2021; document accessible en ligne sur le site du ministère.