Depuis 1953, la France dispose d’une institution professionnelle paritaire originale dédiée au financement du logement pour les salariés. De la Participation des employeurs à l’effort de construction (PEEC) au Groupe Action Logement Services, le périmètre d’intervention de l’organisme a toutefois évolué, au fil d’une «modernisation» âprement négociée entre les gestionnaires de l’organisme et les pouvoirs publics.
Action Logement
Un décret du 9 août 1953 (IVe République) instaure la généralisation d’une participation des employeurs à l’effort de construction, qui sera appelé communément «1% logement», puis à l’issue d’une mutation controversée «Action Logement Services». L’exposé des motifs du texte, traduit ce que d’aucuns estiment avoir été un «compromis» entre la puissance publique et les acteurs sociaux, patrons et syndicats. S’il porte obligation de généraliser la démarche, en la cadrant par des contreparties fiscales, mais aussi par des sanctions, le législateur n’en souligne pas moins que «Les efforts effectués par les employeurs de l’industrie en vue de favoriser l’amélioration du logement de leur personnel ne doivent pas être sous-estimés. Les comités interprofessionnels du logement ont joué, dans un grand nombre de localités, un rôle important dans la réalisation de programmes d’habitation à loyer modéré». Moyennant quoi, il a importé de «laisser aux entreprises industrielles et commerciales la plus grande liberté pour utiliser sous la forme de leur choix, si elles le désirent, sur le plan local, les sommes qu’elles doivent consacrer au logement».
Un dispositif régulé au bénéfice du logement des salariés
La participation des employeurs à l’effort de construction se traduira, de manière positive, par des investissements pour «constructions directes de logements économiques et familiaux ou de logements répondant aux normes prévues pour les habitations à loyer modéré, participation à des opérations effectuées par des organismes d’habitations à loyer modéré ou à des sociétés civiles immobilières à caractère désintéressé, versement à des comités interprofessionnels du logement, subventions ou prêts accordés aux salariés, etc.» et, faute d’en avoir réalisé, par une contribution obligatoire au «fonds national de construction d’équipement rural et d’expansion économique» (créé par une loi de juillet 1953). Les entreprises sont incitées à rejoindre une structure de portage, relevant de la cogestion entre représentants des employeurs et des salariés, indépendante de la puissance publique, le comité interprofessionnel pour le logement (CIL). Si l’action du CIL est orientée sur le logement, elle n’en est pas moins dictée par l’objet social de l’entreprise et sa légitimité à intervenir au titre des salariés, comme le rappellera encore le livre blanc du nouveau groupe Action Logement en 2010.
La naissance des CIL, ou l’intérêt bien compris des employeurs
Le premier comité interprofessionnel du logement a vu le jour dix ans plus tôt, à l’initiative du patronat textile de Roubaix, avec pour vocation d’adresser 1% des salaires déclarés à une caisse de compensation qui soutiendra l’offre de logement pour les travailleurs. Le parti de son principal architecte, Jean Prouvost, est volontariste, à l’échelle de l’écosystème textile du Nord, mais aussi et plus largement du patronat. Celui-ci, s’il n’a pas ménagé ses efforts en matière d’hébergement des travailleurs, depuis la fin du XIXe siècle — en situation courante, il s’agit bien de conserver sa main-d’œuvre, ou d'afficher un certain paternalisme; en situation exceptionnelle, post Première Guerre mondiale, il s’agit de relancer le système productif — est demeuré réticent vis-à-vis d’une administration publique du dispositif (règles, fiscalité) et d’une atteinte à son droit personnel. D’où, par exemple, une participation modeste à celui des HBM (créé par une loi de 1912).
Dès les années 1920, l’idée d’une éventuelle contribution/taxation des entreprises fait son chemin qui, si elle achoppera longtemps, sera donc consacrée par la loi de 1953, sous la co-égide de Jean Prouvost et du ministre Eugène Claudius-Petit, mais aussi des représentants des deux grands syndicats de salariés que sont la Confédération générale du travail et la Confédération française des travailleurs chrétiens. Il n’est pas inutile de rappeler ici que les promoteurs du CIL étaient engagés dans la Résistance, mais aussi que l’après-guerre obligera le patronat a s’ouvrir plus largement au dialogue social. L’époque est par ailleurs à la reconstruction du tissu économique — alors que le secteur industriel est à son apogée — à la transformation de l’urbanisme et de l’habitat, à la modernisation du pays.
Dix ans après (Ve République), le champ d’application du texte de 1953 sera étendu au secteur agricole. Une convergence entre les objectifs de politique publique et ceux des entreprises s’est instaurée, sans pour autant fixer un modèle. À la veille d’une transformation majeure de celui-ci, à la fin des années 1990, plus de 200 CIL sont à l’œuvre sur le territoire national, avec pour principale activité deux prestations: prêts pour l’accession à la propriété et prêts complémentaires pour la construction de logements locatifs sociaux. Depuis les années 1970, le système est devenu effectivement paritaire, avec l'intégration d'autres représentants d'employeurs (CPME) et de salariés (CGE-CGC, CFDT, FO).
Dans la zone grise des politiques publiques, l’émergence d’Action Logement
À cette date, et depuis près de 20 ans déjà, le dispositif est remis en cause autour de deux enjeux connexes: la prise en charge des effets de la crise via les politiques de logement social et une possible ré-allocation des ressources conséquentes engrangées par le 1% logement, ce qui renvoie, à l’amont à la réelle autonomie de gestion par les partenaires sociaux. Si le nouveau Groupe créé en 2009 revendique une capacité d’adaptation aux demandes des pouvoirs publics, il n’en souligne pas moins que «l’histoire des relations entre les pouvoirs publics et le 1% logement a toujours été celle d’une tentative, plus ou moins aboutie, selon les projets et décisions, de captation par l’État de cette ressource pour de nouveaux instruments de la politique du logement». Une situation d’autant plus difficile à accepter qu’elle est aussi la preuve que les partenaires sociaux ont été en la matière de très bons gestionnaires.
Des ressources captées pour compenser le désengagement de l’État sur le logement
Dès le début des années 1970, un fléchage d’une part de ses ressources vers le tout nouveau Fonds national d’aide au logement s’impose aux gestionnaires du dispositif. La PEEC est ensuite sollicitée pour participer au financement des aides à la personne (suite à la fin du système des aides à la pierre), et de manière croissante à celui de politiques intrinsèquement publiques (accession à la propriété (PAP puis PTZ), de renouvellement du parc social (1 % Relance), de rénovation urbaine (ANRU). Le leitmotiv d’une «manne» à capter reviendra fréquemment, entretenu par des rapports publics et leur relais médiatique.
Une modernisation sous la contrainte
Corrélativement, la question se pose d’une adaptation institutionnelle autour du contrôle effectif de la structure, objet de conflits et de transactions entre ses gestionnaires et une administration, notamment fiscale, qui priorise toujours plus la régulation des politiques publiques et, parallèlement, un désengagement financier de l’État. En 1987, la création de l’Agence nationale pour la participation des employeurs à l’effort de construction (ANPEEC) signe la fin du système de gestion décentralisé des CIL au motif de «manque de transparence» et, surtout, transfère un pan de la gouvernance à l’État.
En 1997, une nouvelle réforme se négocie et aboutit à la création de l’Union d’économie sociale pour le logement (UESL). Cette réforme confirme certes le rôle des partenaires sociaux (gouvernance, affectation d’une partie des ressources aux régimes de retraites Agirc-Arrco, subventions à la représentativité), mais accroît les contreparties exigibles par la puissance publique. En 2008, nouvelle étape, avec la création d’Action Logement, qui a vocation à restructurer et accélérer le regroupement des CIL au sein d’un réseau. En 2015, un nouveau projet de loi transforme le réseau en Groupe, décision saluée comme historique par les partenaires sociaux, tandis que la ministre du Logement note avec satisfaction la naissance d’«un outil dynamique et efficace, au service de la relance de la politique du logement engagée ces derniers mois».
Parallèlement, la loi ALUR regroupe l’ANPEEC et la Mission interministérielle d’inspection du logement social (Milos), en un organisme unique, l’Agence nationale de contrôle et du logement social, organisme public administratif qui a vocation à «unifier le contrôle et l’évaluation de l’action de l’ensemble des opérateurs du logement social et d’Action Logement devenus fortement interdépendants». Actuellement dirigée par Jean Gaeremynck, l’ANCOS n’intègre aucun représentant des organisations parties prenantes d’Action Logement.
Le compromis d’Action Logement Services
À l’issue de cette nouvelle phase de modernisation, le groupe Action Logement Services déploie 5 activités principales. Celles dites de Services et de Financement des bailleurs sociaux recouvrent le périmètre originel d’accompagnement des salariés. Son activité immobilière et patrimoniale recouvre la construction de logements sociaux et intermédiaires. Enfin, elle intervient dans les politiques publiques notamment dans le cadre de l’ANRU.
L’architecture organisationnelle se structure autour d’une faîtière (Action Logement Groupe) et de 5 filiales: Services (collecte et distribution des services), Immobilier (portage des ESH et sociétés immobilières), Association pour l’accès aux garanties locatives (pilotage de la sécurisation locative), Association Foncière logement (opérateur mixité sociale), Formation (transverse).
C’est à travers la filiale Services qu’opèrent les actions sur les territoires via des comités territoriaux (12 + en Outre-Mer), délégations régionales (13) et filiales de services. Action Logement Groupe, organisme sous statut associatif, a une gouvernance paritaire qui se duplique au niveau de ses filiales. En 2019, Bruno Arcadipane (Medef) assure la présidence Groupe, avec l’appui de Jean-Jacques Perot (CFDT), et du directeur général Bruno Arbouet. Son conseil d’administration réunit les syndicats d’employeurs Medef (4 membres) et CPME (2 membres), et de salariés CFDT (2 membres), CFE-CGC (2 membres), CFTC (2 membres), CGT (2 membres), FO (2 membres). Y siègent 3 commissaires du Gouvernement émanant respectivement des ministères de la Cohésion des territoires, de l’Action et des Comptes publics, de l’Économie et des Finances.
Joël Chéritel (Medef) assure la présidence de la filiale Services, Pierre Esparbès (Medef) celle de la filiale Immobilier, Hugues Vanel (Medef) celle de la Foncière logement, Marie-Angèle Lopez (CFDT) celle de la filiale AAGL, et Georges Louis (CFE-CGC) celle de la filiale Formation.
La main toujours plus visible de l’État
En 2019, plusieurs rapports ont remis une nouvelle fois en cause la gouvernance de la structure suite à l’annonce du départ de son directeur général Bruno Arbouet, respectivement émis par l’ANCOS, la Cour des comptes, l’Inspection générale des finances et, sous l’égide du Medef, le cabinet d’audit Ey. Parallèlement, le projet de loi de Finances 2020, prévoit de mobiliser 500 millions d’euros de fonds appartenant au groupe. La question reste ouverte de savoir si cela conduira à une prise en main définitive par l’État. Bruno Arbouet a finalement été tenu de conserver sa fonction.
Notes et références
- « Exposé des motifs, Décret du 9 août 1953 relatif à la participation des employeurs à l’effort de construction», Légifrance, fac-similé du Journal officiel du 10 août 1953, pp. 7041
- « Aux origines du 1% Logement: histoire d’un compromis républicain», Hélène Frouard, Revue française des affaires sociales, La Documentaiton française, 2005 ; accessible en ligne sur le site Cairn Infos
- « 1 % logement et renouvellement urbain : un mariage de raison», Jules-Mathieu Meunier, IUP-Université Paris XII Val de Marne, actes de la Journée d’études Jeunes chercheurs Université Paris I, INED, CNRS, Institut d’Urbanisme de Paris, Université Paris XII - Val de Marne, 2005 ; accessible en ligne sur le site resohab.univ.paris1
- « Du 1% Logement à Action Logement», livre blanc d’Action Logement, 2010 ; accessible en ligne sur le site d’Action Logement
- « 1% Logement devenu Action Logement», Indecosa-CGT, acessible en ligne sur le site indecoa-CGT
- Site de l’ANCOLS
- Site d’Action Logement Services
- Divers articles parus dans : Le Moniteur (avril 2015), Business Immo (26 novembre 2019), Le Figaro (26 novembre 2019), Tripalio (3 octobre 2019), Capital (24 septembre 2019), Capital (8 juillet 2019)