1864: le droit de coalition est reconnu par la loi Ollivier

En 1864, les coalitions d’ouvriers et de patrons sont à nouveau autorisées par le législateur. Par ce texte savamment conçu sous l’égide du député libéral Émile Ollivier, s’affirme que la liberté d’industrie et de commerce relève aussi d’une négociation entre acteurs du monde du travail. Le texte est présenté ici dans sa version originale intégrale.

 

NOTA

Législation du Second Empire. Napoléon III chef de l’État. Ce texte est pris au moment dit de «l’Empire libéral». L’avocat et représentant des républicains au Corps législatif Émile Ollivier en fut le rapporteur, en tant que membre d’une commission désignée par l’exécutif et chargée d’étudier l’abrogation de plusieurs articles du Code pénal pour les remplacer par de nouvelles dispositions.

Ce texte de loi est remarquable d’un double point de vue : par son contenu et sa brièveté au regard de son impact, à savoir l’abolition d’une réglementation de près d’un siècle inscrite dans la loi et confirmée dans les règles relatives aux délits. En deux articles uniques, est restauré le droit de coalition professionnelle aboli par la Révolution française dans sa prévention contre les corporations et institutions professionnelles.

Mobilisant son talent d’avocat, une forte culture économique et politique, Émile Ollivier a livré un long commentaire argumenté de la décision. Dans les faits, le droit de coalition est reconnu aux patrons comme aux ouvriers, même si c’est bien la question des risques de violence ouvrière qui est délibérément surexposée. Les motivations de la décision sont judicieusement présentées. L’idée que la vertu de la coalition permet la négociation et délégitime le mythe de la grève, autorisée certes mais ramenée à sa nature de moyen. Le rapporteur démontre aussi qu’il y a cohérence logique entre liberté d’entreprise et liberté de coalition et que la seconde est profitable pour la première. En particulier, elle crée les conditions d’une négociation collective entre acteurs économiques et sociaux. En conclusion, Émile Ollivier rappelle en effet que l’enjeu est d’amener «les transactions nécessaires entre le capital et le travail, l’apaisement des haines, le développement harmonieux de l’industrie et la fin des grèves».

Sur un autre plan, elle plaide pour la souveraineté du législateur eu égard à l’autorité judiciaire et administrative en privilégiant le principe (la coalition est autorisée) sans altération par considération d’ordre moral (juste, injuste?). La rédaction peut en paraître modeste et « par défaut », dans la mesure où elle pose tout de même des sanctions, applicables en cas de violences, voies de fait, manœuvres frauduleuses pour forcer à la cessation de travail, ou mesures coercitives, du fait des patrons comme des ouvriers, contraires à la liberté du travail. Émile Ollivier souligne encore que «Si la loi pénale déclarait ce qui est permis, tout ce qu'elle n'aurait pas autorisé resterait défendu, et il est difficile d'imaginer l'arbitraire dans lequel nous serions précipités ».

 

Loi du 25 mai 1864 sur les coalitions (1)

Le Sénat et la Chambre des députés ont adopté,
Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit:

Article 1 (2)

Les articles 414, 415 et 416 du Code pénal sont abrogés. Ils sont remplacés par les articles suivants.
- Article 414
Sera puni d’emprisonnement de six jours à trois ans et d’une amende de 16 francs à 3 000 francs ou de l’une de ces deux peines seulement, quiconque, à l’aide de violences, de voies de fait, manœuvres frauduleuses, aura amené ou maintenu, tenté d’amener ou de maintenir une cessation concertée du travail, dans le but de forcer la hausse ou la baisse des salaires ou de porter atteinte au libre exercice de l’industrie ou du travail.
- Article 415
Lorsque les faits punis par l’article précédent auront été commis par suite d’un plan concerté, les coupables pourront être mis, par l’arrêt ou le jugement, sous la surveillance de la haute police pendant deux ans au moins et cinq ans au plus.
- Article 416
Seront punis d’un emprisonnement de six jours à trois ans et d’une amende de 16 francs à 300 francs ou de l’une de ces deux peines seulement, tous ouvriers, patrons et entrepreneurs d’ouvrage qui, à l’aide d’amendes, défenses, proscriptions, interdictions prononcées par suite d’un plan concerté, auront porté atteinte au libre exercice de l’industrie et du travail.

Article 2

Les articles 414, 415 et 416 ci-dessus sont applicables aux propriétaires et fermiers, ainsi qu’aux moissonneurs, domestiques et ouvriers de la campagne. Les articles 19 et 20 du titre 2 de la loi des 28 sept.-6 oct. 1791 sont abrogés.

Sources et références
1) «Commentaire de la loi du 25 mai 1864 sur les coalitions», par M. Émile Ollivier, Marescq-Ainé éditeur, 1864, fac-similé disponible sur le site BNF-Gallica.
2) Le texte source ne comprend pas la mention «article» en introduction de paragraphe. Le paragraphage a été adapté ainsi que l’orthotypographie.