Le Crédit agricole a accompagné, à partir de la fin du XIXe siècle, le développement et la modernisation du secteur. S’il est devenu une banque de plein exercice, universelle, il joue toujours, à travers notamment la Fédération nationale du Crédit agricole, la Confédération nationale de la mutualité, de la coopération et du crédit agricoles, la Mutualité sociale agricole, un rôle clé au sein de l’armature des institutions professionnelles agricoles.
Pratiquement cent ans après la loi de 1894 (IIIe République) qui consacre une banque dédiée à servir les besoins des agriculteurs, le Crédit agricole devient un établissement bancaire universel, relevant toujours du secteur mutualiste (Crédit mutuel, Caisse d’épargne, Banque populaire et ses affiliés Casden, Crédit coopératif), mais d’autant plus engagé dans une approche capitalistique qu’il a réussi, dès les années 1970, à s’affirmer comme l’acteur bancaire français de premier rang sur le marché international. C’est le fruit d’une évolution marquée à la fois par une autonomisation financière progressive et par une convergence avec les politiques publiques de soutien aux professionnels, mais aussi par un ancrage puissant dans le monde paysan puis rural, dont il reste un partenaire financier fort, via aussi une relation étroite avec les acteurs institutionnels clés du secteur: organisations professionnelles, chambres d’agriculture, organisme de protection sociale.
Naissance et développement de la «banque verte»
Portée notamment par le député Jules Méline, une loi du 5 novembre 1894 autorise la création de «sociétés de crédit agricole» constituées soit des «membres d’un ou plusieurs syndicats agricoles» et dont l’objet est de «garantir les opérations concernant l’industrie agricole et effectuées par ces syndicats ou les membres de ces syndicats» (art.1). Les caisses locales de Crédit agricole, inspirées du modèle allemand (dit «Raffeisen») sont des sociétés mutualistes, habilitées à capter des fonds d’origine diverse mais à offrir exclusivement du crédit aux agriculteurs.
État et professionnels partenaires autour de l’enjeu d’une modernisation du modèle agricole
Au-delà de l’effet de conjoncture (crises du milieu du XIXe siècle: surproduction, phylloxéra; d’autres crises verront, d’ailleurs, le Crédit agricole se renforcer), la question de la faiblesse structurelle de l’économie agricole (débuts de la modernisation culturale, mais surtout difficulté à financer l’investissement, du fait de la nature de l’activité, la structure de l’exploitation, et de la réticence de l’agriculteur vis-à-vis des intermédiaires financiers) interpelle les pouvoirs publics, témoin la création d’un ministère de l'Agriculture en 1881. La loi prend acte d’initiatives mutualistes antérieures, mais donne l’occasion de museler la mouvance syndicale conservatrice (de la «Société des agriculteurs de France») et de rallier une très grande majorité de la population (qui vit dans le rural) au nouveau régime. La logique publique converge avec celle de la frange progressiste, modernisatrice, de la Société nationale d’encouragement.
La structuration progressive du réseau local, régional, national du Crédit agricole
L’État républicain va jouer un rôle clé dans la structuration de la «banque verte», lequel opère rapidement un abondement de ressources (via la Banque de France) via un échelon régional (institué par une loi de 1896) et mobilise pleinement le ministère de l’Agriculture (contrôle, mais soutien appuyé). Une loi de 1920 donne naissance à l’établissement public de l’Office national du Crédit agricole, qui deviendra Caisse nationale du crédit agricole (1926), et ouvre par ailleurs le sociétariat à tous les agriculteurs. Par ailleurs, si l’Office puis la CNCA sont étroitement dépendants du financement public afin de consolider la gestion du financement, accroître la confiance et le montant des dépôts, elle amorce une longue période de cogestion (les caisses régionales sont associées à la gestion de la CNCA).
Parallèlement, des dispositions sont prises pour faciliter l’octroi de crédits à moyen et long terme. La légitimité de la Caisse nationale sera confortée, en 1936, par sa contribution financière au tout nouvel office public du blé (ONB), alors qu’une nouvelle crise sévit et, plus largement, à une véritable politique agricole qui commence à se mettre en œuvre. L’intermède vychissois correspond à une tutelle institutionnelle ré-affirmée, ce alors même que les financements d’État continuent à diminuer. Le modèle du Crédit agricole n’en continue pas moins à prospérer. Avec le retour à l’ordre républicain, dans un contexte de redéfinition du cadre contractuel du travail, de renationalisation du secteur bancaire, mais aussi de renouvellement des élites professionnelles (via la FNSEA) et témoin de l’attention portée à la sociologie spécifique du secteur agricole, une nouvelle instance voit le jour: la Fédération nationale du crédit agricole, créée en 1945 et structurée en 1948 (IVe République).
Le financeur de la nouvelle phase de modernisation de l'agriculture
Les années d’après-guerre voient l’augmentation des capacités de financement du Crédit agricole s’élargir, d’abord dans le cadre de la planification puis, plus spécifiquement, d’une nouvelle phase de modernisation. Témoins de cette nouvelle dynamique: la distribution des prêts à la modernisation et l’équipement; l’élargissement du sociétariat aux propriétaires ruraux (1948); l’extension du périmètre de collecte (1958); le monopole de la distribution des prêts bonifiés aux agriculteurs (loi d’orientation agricole de 1961); la réforme de la Caisse nationale qui lui octroie la capacité de se doter de liquidités pour pourvoir des crédits de moyen et long termes (1967).
Le décret «réforme» du 11 août 1971 (Ve République), qui ne sera pourtant pas sans diviser la profession, permet l’extension du périmètre de service à tous les acteurs de la ruralité et à de multiples activités (équipement touristique, résidentiel et familial), dans une zone rurale élargie de 2000 à 12000 habitants.
Une banque universelle… toujours empreinte de sa culture d’origine
Au milieu des années 1970, le Crédit agricole est devenu une enseigne bancaire de rang international. C’est presque une surprise, compte tenu de son modèle institutionnel, même si dès 1966, la CNCA disposait de l’autonomie financière et devenait de facto une banque et non plus seulement une tutelle des caisses régionales. Sa montée en puissance illustre la confluence entre une volonté interne de s’adapter aux évolutions de la société (versus nouveaux besoins de consommation, diversification du mode de vie rural, mais aussi endettement et fragilisation croissante de la clientèle originelle) et une tendance de long terme au désengagement de l’État en lien avec la consolidation de l’Union européenne sous un credo de plus en plus libéral.
L’évolution vers la banque universelle, dictée autant par une logique de développement que par la règle européenne, s’accélère dans le courant des années 1980. En 1988, la loi dite de «mutualisation» signe la fin de la tutelle publique sur la Caisse nationale, qui passe du statut d’établissement public à une SA dont les caisses régionales (à 90 %) et les salariés (à 10 %) sont les actionnaires. Parallèlement, la «banque verte» perd l’exclusivité du crédit aux agriculteurs (prêts bonifiés) en même temps que les avantages fiscaux (exonération d’IS) que lui valaient le modèle historique.
La FNCA, gardienne des valeurs du mutualisme
Si cette évolution s’est traduite par une diminution nette de sa part du marché de l’agriculture national, le Crédit agricole n’en garde pas moins un poids encore prégnant sur le financement du secteur. Et, si son sociétariat s’est naturellement élargi, l’empreinte de sa culture originelle (mutualiste, agricole) reste forte. La seconde nourrissant la première.
Une situation qui s’explique par le rôle, en interne, de la FNCA, aussi appelé «Parlement des caisses», qui a toujours vocation à assurer leur représentation collective (auprès des pouvoirs publics, des organisations professionnelles, de la presse), à animer l’esprit mutualiste (via des comités thématiques), à débattre des grandes orientations du groupe bancaire. Il est aussi le gestionnaire de la convention collective pour le compte des caisses, leur apporte de l’expertise juridique et fiscale… L’association est pilotée par un bureau fédéral composé de 20 membres (10 présidents et 10 directeurs de caisse), et son président est obligatoirement un président de caisse régionale (actuellement, Dominique Lefebvre, de la caisse Val-de-France). C’est via la FNCA que le Crédit agricole siège à la CNMCCA (où siègent également la MSA, Groupama, Coop de France) et au Conseil de l’agriculture française.
Qui plus est, alors ses salariés relèvent toujours du régime de la Mutualité sociale agricole, la présidente de la Fédération nationale des exploitants agricoles est membre de son conseil d’administration tandis qu’elle est représentée dans les chambres d’agriculture au titre des collèges des groupements professionnels.
Principales sources et références
- «Le Crédit agricole », Jean-Pierre Henry et Marcel Régulier, Que Sais-Je?, Presses universitaires de France, 1986, ISBN13 978-2130394686
- «Crédit agricole: du mutualisme à l’internationalisation», GREP, revue « Pour » n° 196-197, 2008, ISSN 0245-9442; accessible en ligne sur le site Cairn Infos
- « Crédit agricole et agriculture en France au XXe siècle », André Gueslin, revue Économie rurale, n° 184-186, 1988; accessible en ligne sur le site Persée
- « Histoire et identite : l’exemple du Crédit agricole», Presses universitaires de Bordeaux, 1995, ISSN : 1168-5549
- « Entre mutualisme et capitalisme, le modèle de gouvernance hybride du groupe Crédit agricole », Julien Batac, Vincent Maymo et Valérie Pallas-Saltiel, revue internationale de l'Économie sociale, n°308, 2008; accessible en ligne sur le site Cairn infos
- « Histoire et identité : l’exemple du Crédit agricole », Christian Bosséno, revue Communication et organisation, Presses universitaires de Bordeaux, 1995; accessible en ligne sur le site journals.openedition.org