L’idée d’un tribunal des conflits entre patrons et salariés se concrétise sous le Premier Empire. Une institution professionnelle composée de juges non professionnels élus par leurs pairs des organisations patronales et de salariés voit le jour. Le texte du décret fondateur est présenté ici dans sa version originale intégrale.
NOTA
Législation du Premier Empire, sous le règne de Napoléon 1er. Ce texte, complété par un décret du 3 juillet précisant l’organisation de la juridiction lyonnaise prévoyait une extension des conseils de prud’hommes aux différentes villes de France. En 1809 puis 1810, de nouveaux décrets préciseront le mode d’organisation de la juridiction prud’hommale.
Le texte assoit l’idée de régulation, dans un cadre paritaire des conflits du travail entre patronat et salariés, tout en privilégiant le patronat (art. 1, composition du conseil). De même est-il établi que la création de ce type d’institution professionnelle est du ressort du Gouvernement (art. 34), lequel nomme par décret les membres dudit conseil. Les prud’hommes sont bien une «juridiction» (art. 6) même si leur rôle est de privilégier la conciliation. Le texte établit en outre que la mission s’exerce gratuitement (art. 30). On notera aussi que le conseil de prud’hommes (Titre II, section 3) est habilité à conserver la «propriété des dessins», pour éventuelle mise à disposition des requérants dans les conflits traités par le tribunal de commerce.
En 1948, les ouvriers se voient ouvrir l'accès à l'institution. En 1907, le mode d’élection et le paritarisme sont revus via la loi (10 mars). La consécration comme juridiction spécifique et nationale intervient avec la loi du 18 janvier 1979, complétée en 1982 par la création du Conseil supérieur de la prud'homie, commission administrative consultative qui «formule des avis et suggestions (…) réalise des études sur l’organisation et le fonctionnement des conseils de prud’hommes». Les organisations d’employeurs et de salariés sont représentées à part égale. Plusieurs réformes ont été engagées, dans les années 2000:
- le décret n° 2008-514 du 29 mai 2008 restructure la carte territoriale des conseils;
- la loi n° 2014-1528 du 18 décembre 2014 aligne le mode d’élection des conseillers sur les nouvelles mesures d’audience de la représentativité syndicale et patronale;
- suite à la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, un décret du 20 mai 2016 instaure les « mesures nécessaires à la modernisation de la justice prud’homale et à la rationalisation du traitement de certains contentieux du travail relevant de la compétence judiciaire» (bureau de conciliation et d'orientation, référentiel indicatif dans le cadre des licenciements irréguliers ou sans cause réelle, statut de défenseur syndical);
- complétant le précédent, le décret n° 2017-684 du 28 avril 2017 précise les obligations de formation des conseillers prud'homaux;
- les ordonnances Travail du 31 août 2017 instituent un plafonnement des indemnités prud'homales.
Décret du 18 mars 1806 instituant un conseil des prud’hommes de Lyon (1)
Napoléon, par la grâce de Dieu et les constitutions de la République, Empereur des Français, à tous, présents et à venir, Salut.
Le corps législatif a rendu, le 18 mars 1806, le décret suivant, conformément à la proposition faite au nom de l’Empereur, et après avoir entendu les orateurs du Conseil d‘État et du Tribunat du même jour.
Titre Ier – Institution et nomination des prud’hommes
Article 1 (2)
Il sera établi à Lyon un conseil de prud’hommes composé de 9 membres, dont 5 négociants-fabricants et 4 chefs d’ateliers.
Article 2
Le mode de nomination sera déterminé par un règlement d’administration publique.
Article 3
Les négociants-fabricants ne pourront être élus prud’hommes s’ils n’exercent pas depuis 6 ans dans cet état ou s’ils ont fait faillite. Les chefs d’ateliers ne pourront être élus prud’hommes s’ils ne savent lire et écrire, s’ils n’ont au moins 6 ans d’exercice de leur état ou s’ils sont rétentionnaires de matières données à employer par les ouvriers.
Article 4
Le conseil de prud’hommes se renouvellera par tiers chaque année, le premier jour du mois de janvier. Trois membres, dont un négociant-fabricant et deux chefs d’atelier, seront renouvelés la première année. Deux négociants-fabricants et deux chefs d’atelier seront renouvelés à chacune des deux années suivantes.
Article 5
Les membres des conseils de prud’hommes sont toujours rééligibles.
Titre II – Des fonctions des prud’hommes
Section I – De la conciliation et du jugement des contestations entre les fabricants, ouvriers; chefs d’ateliers, compagnons et apprentis
Article 6
Le conseil des prud’hommes est institué pour terminer, par voie de conciliation les petits différents qui s’élèvent journellement, soit entre des fabricants et des ouvriers, soit entre des chefs d’atelier, des compagnons ou des ouvriers. Il est également autorisé à juger, jusqu’à la somme de 60 francs, sans forme ni frais de procédure et sans appel, les différents à l’égard desquels la voie de conciliation aura été sans effet.
Article 7
À cet effet, il sera tenu chaque jour, depuis onze heures du matin jusqu’à une heure, un bureau de conciliation composé d’un prud’homme fabricant et d’un prud’homme chef d’atelier, devant lesquels se présenteront en personne les parties en contestation.
Article 8
Il se tiendra une fois par semaine, au moins un bureau ou un conseil de prud’homme, lequel pourra se prononcer, au nombre de 5 membres au moins, ainsi qu’il est dit dans l’article précédent, sur tous les différents qui lui auront été renvoyés par le bureau de conciliation.
Article 9
Tout différent portant une somme supérieure à 60 francs qui n’aura pas pu être terminé par la voie de conciliation sera porté devant un tribunal de commerce ou devant les tribunaux compétents.
Section II – Des contraventions aux lois et règlements
Article 10
Le conseil des prud’hommes sera spécialement chargé de constater, d’après les plaintes qui pourraient lui être faites, les contraventions aux lois et règlements nouveaux mis en vigueur.
Article 11
Les procès-verbaux dressés par les prud’hommes pour constater ces contraventions seront renvoyés aux tribunaux compétents ainsi que les objets saisis.
Article 12
Le conseil des prud’hommes constatera également, sur les plaintes qui lui seront portées, les soustractions de matières premières qui pourraient être faites par les ouvriers au préjudice des fabricants et les infidélités commises par les teinturiers.
Article 13
Les prud’hommes, dans les cas ci-dessus et sur la réquisition verbale ou écrites des parties, pourront au nombre de deux au moins assistés d’un officier public, dont un fabricant et un chef d’atelier, faire des visites chez les fabricants, chefs d’atelier, ouvriers et compagnons. Les procès-verbaux constatant les infractions ou infidélités seront adressés au bureau général des prud’hommes et envoyés, ainsi que les objets formant pièce de conviction, aux tribunaux compétents.
Section III – De la conservation de la propriété des dessins
Article 14
Le conseil des prud’hommes est chargé des mesures de conservation de la propriété des dessins.
Article 15
Tout fabricant qui voudra pouvoir revendiquer par la suite, devant le tribunal de commerce, la propriété d’un dessin de son invention, sera tenu d’en déposer aux archives du conseil des prud’hommes un échantillon plié sous enveloppe revêtu de ses cachet et signature, sur laquelle sera également apposée la signature du conseil de prud’hommes.
Article 16
Les dépôts de dessin seront inscrits sur un registre tenu ad hoc par le conseil des prud’hommes, lequel délivrera aux fabricants un certificat rappelant le numéro d’ordre du paquet déposé et constatant la date de dépôt.
Article 17
En cas de contestation entre deux ou plusieurs fabricants sur la propriété d’un dessin, le conseil de prud’hommes procédera à l’ouverture des paquets qui auront été déposés par les parties; il fournira un certificat indiquant le nom du fabricant qui aura la priorité de date.
Article 18
En déposant son échantillon, le fabricant déclarera s’il entend se réserver la propriété exclusive, pendant une, trois ou cinq années, ou à perpétuité ; il sera tenu note de cette déclaration. À l’expiration du délai fixé par ladite déclaration, si la réserve est temporaire, tout paquet d’échantillon déposé sous cachet dans les archives du conseil devra être transmis au conservatoire des arts de la ville de Lyon, et les échantillons contenus être joints à la collection du conservatoire.
Article 19
En déposant son échantillon, le fabricant acquittera entre les mains du receveur de la commune une indemnité qui sera réglée par le conseil des prud’hommes et ne pourra excéder un franc pour chacune des années pendant lesquelles il voudra conserver la propriété exclusive, et sera de 10 francs pour la propriété perpétuelle.
Titre III – Des règlements de compte et de la police entre les maîtres d’atelier et les négociants
Article 20
Tous les chefs d’atelier éventuellement établis, ainsi que ceux qui le seront à l’avenir, seront tenus de se pourvoir, au conseil de prud’hommes, d’un double livre d’acquit pour chacun des métiers qu’ils feront travailler, dans la quinzaine à dater du jour de la publication pour ceux qui travaillent, et dans la huitaine du jour où commenceront à travailler ceux qu’ils monteront à neuf. Sur ce livre d’acquit, paraphé et numéroté et qui ne pourra être refusé lors même qu’ils n’auraient qu’un métier, sont inscrits les noms, prénoms et domiciles du chef d’atelier.
Article 21
Il sera tenu, au conseil de prud’hommes, un registre sur lequel lesdits livres d’acquit seront inscrits; le chef d’atelier signera, s’il le sait, sur le registre et sur le livre d’acquit qui lui sera délivré.
Article 22
Le chef d’atelier déposera le livre d’acquit du métier qu’il destinera au négociant-manufacturier entre ses mains et pourra, s’il le désire, en obtenir un récépissé.
Article 23
Lorsqu’un chef d’atelier cessera de travailler pour un négociant, il sera tenu de faire noter sur le livre d’acquit, par ledit négociant, que le chef d’atelier a soldé son compte ou dans le cas contraire, la déclaration du négociant spécifiera la dette dudit atelier.
Article 24
Le négociant possesseur du livre d’acquit le fera viser aux autres négociants occupant des métiers dans le même atelier, qui énonceront la somme due par le chef d’atelier dans le cas où il serait leur débiteur.
Article 25
Lorsque le chef d’atelier restera débiteur du négociant manufacturier pour lequel il aura cessé de travailler, celui qui voudra lui donner de l’ouvrage fera la promesse de retenir la huitième partie du prix des façons dudit ouvrage en faveur du négociant dont la créance sera la plus ancienne sur ledit registre, et ainsi successivement, dans le cas où le chef d’atelier aurait cessé de travailler pour ledit négociant, du consentement de ce dernier ou pour cause légitime; dans le cas contraire, le négociant-manufacturier qui voudra employer le chef d’atelier sera tenu de solder celui qui sera resté créancier en compte de matières, nonobstant toute dette antérieure, et le compte d’argent jusqu’à 500 francs.
Article 26
La date des dettes que les chefs d’atelier auront contractées avec les négociants qui les auraient occupés sera regardée comme certaine vis-à-vis des négociants et maîtres d’atelier seulement, et à l’effet des dispositions portées au présent titre, après l’apurement des comptes, l’inscription de la déclaration sur le livre d’acquit et le visa du bureau du conseil des prud’hommes.
Article 27
Lorsqu’on négociant-manufacturier aura donné du travail à un chef d’atelier dépourvu de livre d’acquit pour le métier que le commerçant voudra occuper, il sera condamné à payer comptant tout ce que ledit chef d’atelier pourrait devoir en compte de matières et en compte d’argent jusqu’à 500 francs.
Article 28
Les déclarations ci-dessus prescrites seront portées par le négociant-manufacturier sur le livre d’acquit resté entre les mains du chef d’atelier comme sur le sien.
Titre IV – Dispositions diverses
Article 29
Le conseil des prud’hommes tiendra un registre exact du nombre de métiers existants et du nombre d’ouvriers de tous genres employés dans la fabrique, pour lesdits renseignements être communiqués à la chambre de commerce toutes les fois qu’il sera requis. À cet effet, les prud’hommes sont autorisés à faire, dans les ateliers, une ou deux inspections par an pour recueillir les autorisations nécessaires.
Article 30
Les fonctions de prud’hommes négociants-fabricants sont purement gratuites.
Article 31
Il sera attaché au conseil de prud’hommes un secrétaire et un commis avec 1000 francs.
Article 32
Toutes les fonctions des prud’hommes et de leur bureau seront entièrement gratuites vis-à-vis des parties; ils ne pourront réclamer, pour les formalités remplies par eux, d’autre frais que le remboursement su papier et du timbre.
Article 33
En cas de plaintes en prévarication portées contre les membres du conseil des prud’hommes, il sera procédé contre eux suivant la forme établie à l’égard des juges.
Article 34
Il pourra être établi, par un règlement d’administration publique, délibéré en Conseil d'État, un conseil de prud’hommes dans les villes de fabrique où le gouvernement le trouvera convenable.
Article 35
Sa composition pourra être différente selon les lieux, mais ses attributions seront les mêmes.
Mandons et ordonnons que les présentes, revêtues des sceaux de l’État, insérées au Bulletin des lois, soient adressées aux cours, aux tribunaux et aux autorités administratives, pour qu’ils les inscrivent dans leurs registres, les observent et les fassent observer; et notre grand-juge ministre de la justice est chargé d’en surveiller la publication.
Signé Napoléon
Vu par nous archi-chancelier de l’Empire, signé Cambacérès,
Par l’Empereur:
Le ministre secrétaire d’État, signé Hugues. B. Maret
Le grand-juge, ministre de la Justice, signé Regnier