La Confédération générale du travail est aujourd’hui l’une des confédérations interprofessionnelles de salariés dites «représentatives» au plan national. Sa création en 1895 consacre l’émergence du syndicalisme à la française, dont elle pose la ligne directrice, le terrain d’ancrage, le mode d’organisation… Mais aussi, de par son histoire mouvementée, l’éclatement en plusieurs entités rivales.
La CGT se constitue 1895 (IIIe République) à Limoges à l’occasion du Congrès national corporatif. C’est la résultante d’une montée en puissance des groupements d’intérêt collectifs au XIXe siècle, validée par les lois Ollivier de 1864 et Waldeck-Rousseau de 1884, ainsi que d’une influence croissante des idées socialistes même si leur matérialisation, sous forme de doctrine, d’organisation, est matière à débats, rivalités. Le congrès de Limoges réunit ainsi autour d’un projet unitaire des fédérations de syndicats, des chambres syndicales, des bourses du travail, avec en arrière-plan une divergence entre la Fédération des bourses du travail (créée en 1890) de tendance anarcho-syndicaliste et la Fédération nationale des syndicats (FNS) d’obédience plus marxiste et surtout plus liée au politique, de par l’influence du courant guesdiste (du nom de Jules Guesde, 1845-1922, publiciste, militant marxiste, puis député).
Le premier grand syndicat interprofessionnel de travailleurs
Unifier le syndicalisme ouvrier
La nouvelle institution professionnelle s’efforce aussi d’unifier deux pratiques du syndicalisme, catégoriel et de métier, interprofessionnel et territorial. Sa structuration se renforce en 1906, avec l’adoption de la charte d’Amiens. Les statuts actualisés de la centrale (2013, congrès de Toulouse) le rappellent: «Fidèle à ses origines, à la charte d’Amiens de 1906, héritière des valeurs humanistes et internationalistes qui ont présidé à sa constitution, considérant la pleine validité des principes d’indépendance, de démocratie, de respect mutuel et de cohésion contenus dans le préambule des statuts de 1936 (intégré aux présents statuts), la Confédération générale du travail défend les intérêts de tous les salariés sans exclusive, en tout temps et en tous lieux. Elle intervient en conséquence librement sur tous les champs de la vie sociale, elle participe au mouvement de transformation sociale». Au-delà de la CGT, la charte constituera un document de référence pour les autres grandes confédérations interprofessionnelles.
Une action de premier plan, mais une institutionnalisation difficile
Au cours du XXe siècle, la CGT s’est imposée comme un un corps intermédiaire économique et social majeur, non sans connaître une histoire institutionnelle mouvementée. Sous l’influence de Léon Jouhault (1879-1954), qui en sera le secrétaire général de 1909 à 1947, la centrale affirme sa présence dans l’État bourgeois (ralliement à l’Union sacrée en 1914, planisme des années 1930, participation active au programme du conseil national de la Résistance, gestion de la crise de Mai 1968), sans abandonner une ligne de conduite priorisant la transformation de la société et le « combat contre l’exploitation capitaliste et toutes les formes d’exploitation du salariat, la revendication et la mobilisation dans la rue (statuts de la CGT, article 1). Elle sera ainsi le protagoniste majeur, côté organisation de défense des salariés, des Accords de Matignon (1936), puis des Accords de Grenelle (1968), ou encore de la loi sur les assurances sociales de 1930. Léon Jouhault se verra, par ailleurs, décerner le Prix Nobel de la paix en 1951.
Mais, parallèlement, la question de l’indépendance vis-à-vis des partis politiques, que recoupe celle de l’option entre révolution et réforme, sera à l’origine de plusieurs recompositions inachevées et scissions effectives. En 1921, dans le sillage de la constitution de la Section française de l’internationale communiste, une première scission opère, avec la naissance de la CGTU, qui se place sous l’obédience communiste. Une réunification a lieu en 1936, dans le contexte du Front populaire et de la nouvelle politique soutenue par l’URSS, qui se consolidera, malgré l’interdiction des syndicats par l’État français, dans le cadre de la Résistance. Interdiction à laquelle les dirigeants de la centrale s'opposeront, en commun avec ceux de la CFTC, habilement dans le « Manifeste des douze » publié au lendemain même de la décision de Vichy.
Dans l'obédience du Parti communiste
Au sortir de la guerre de 1939-1945, le crédit de la confédération auprès des salariés, mais aussi des pouvoirs publics, se renforce de par le rôle qu’elle a joué dans la lutte contre l’occupant tout comme les militants du Parti communiste. La réactivation des deux tendances (confédérés, unionistes) sera réglée un temps par la constitution d’un organe dirigeant à deux têtes, celles de Léon Jouhault et Benoît Frachon (1893-1975), par ailleurs membre du PC. En 1947, la scission est consommée, les confédérés décidant de créer la Confédération générale du travail-Force ouvrière (CGT-FO). À partir des années 1970, sous l’égide notamment de Georges Séguy (1927-2016), Louis Viannet (1933-2017), la centrale prend ses distances avec le parti de la place du Colonel-Fabien, jusqu’à la désintoxication » affirmée sous le secrétariat général de Bernard Thibault (1999-2013).
Une confédération syndicale représentative
De par son histoire, la CGT est l’organisation syndicale représentative par excellence. Sa représentativité, c’est-à-dire sa légitimité à représenter l’ensemble des salariés, à négocier en leur nom avec le patronat, mais aussi à être leur porte-parole auprès des pouvoirs publics, est officiellement reconnue par la loi du 11 février 1950 (IVe République). La loi établit certains critères habilitant le syndicat à signer un accord collectif, réactualisés par l’arrêté du 31 mars 1966, établissant la notion de «présomption irréfragable de représentativité» et la liste des organisations reconnues comme telles.
Dans les années 2000, la question de la représentativité des organisations syndicales et même patronales se repose via plusieurs rapports publics qui ne sont pas sans lien avec une volonté de l’État et de son administration de restreindre le champ d’action des partenaires sociaux. La loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie syndicale et réforme du temps de travail, complétée par la loi du 15 octobre 2010 et par un arrêté du 30 mai 2013 du ministère du Travail fixe la liste des organisations syndicales représentatives (toujours en vigueur en 2018). Les critères de la représentativité, non vérifiable a priori, sont aujourd’hui: «Respect de valeurs républicaines», «Indépendance vis-à-vis de l’employeur», «Transparence financière», «Ancienneté d’au moins deux ans», «Audience suffisante aux élections professionnelles (au moins 10 % des suffrages au 1er tour des élections)», «Influence (prouvant l’activité)», «Effectifs et niveaux de cotisation suffisants». Par ailleurs, la représentativité s’apprécie à trois niveaux: national interprofessionnel, de branche professionnelle, d’entreprise. La CGT siège au HCDS, instance publique support de la loi de 2008.
Lors de la mesure d'audience des syndicats de 2017 correspondant aux élections professionnelles en entreprises (CE, délégués du personnels) et dans les chambres d'agriculture, la CGT était créditée de 1303750suffrages et 24,65% d'audience, avec 14000 suffragants de moins qu'en 2013 et une baisse d'audience de 1,9%. Lors du scrutin des chambres d'agriculture 2019, la confédération a recueilli 24,83% des voix de salariés d'exploitations pour 13,89% des voix chez les salariés des groupements, un résultat bien inférieur celui de 2013. En 2020, elle recueillait la 3e audience, à 18,95%, auprès des adhérents du collège salariés de la Mutualité sociale agricole.
La nouvelle mesure d'audience de 2021 consacre sa puissance dans le paysage syndical national (22,96%), même si, pour la première fois, elle cède le premier rang. Ses représentants sont habilités à signer la quasi-totalité des conventions collectives de branche, secteur, activité, souvent en situation de préeminence. C'est notamment le cas dans les domaines de la culture et du spectacle vivant, de la presse, du transport et de la navigation, du secteur ferroviaire.
À la création de la centrale correspond un modèle statutaire et organisationnel que l’on retrouve dans les autres grandes confédérations interprofessionnelles, à quelques nuances près. En tant que syndicat professionnel 1884, et suivant le principe de libre adhésion, elle est ouverte à l’ensemble des salariés regroupés en syndicats qui «constituent les fédérations, les unions départementales et les unions locales» (statuts, art. 8), ainsi que dans trois organisations spécifiques aux retraités (UCR), aux cadres (UGICT-CGT), aux demandeurs d’emploi (CNDLC).
Les instances décisionnelles sont respectivement:
* les organes souverains: congrès confédéral (réuni tous les trois ans) réunissant «les représentants mandatés des syndicats ayant rempli leurs obligations envers la CGT» (art. 27-4) et comité confédéral national (souverain entre deux congrès) et constitué des «secrétaires généraux des fédérations et des unions départementales ou de leurs représentants» (art. 28).
* les organes exécutifs: commission exécutive confédérale, élue par le congrès et qui «assure la direction de la CGT et la conduite de l’action confédérale» (art. 29); bureau confédéral, issu de la commission exécutive qui propose ses membres à élection par le comité national confédéral. Le secrétaire général est membre de ce bureau (art. 30);
* les organes de contrôle: commission financière de contrôle chargée «de contrôle et d’évaluation de l’application des orientations du congrès en matière financière» (art. 31).
En 2018, la Confédération générale du travail regroupe 33 fédérations et syndicats nationaux. Elle dispose de 857 unions locales, 93 unions départementales et 21 comités régionaux. Depuis sa création, la CGT a été dirigée par 15 «secrétaire général confédéral», dont le premier fut A. Lagailse (1895-1899). Les mandats les plus longs ont été exercés par Léon Jouhault (36 ans), Benoît Frachon (1893-1975, mandaté de 1945 à 1967 ), Georges Séguy (1927-2016, de 1967 à 1982). Sophie Binet, élue le 31 mars 2023, est la première femme à exercer ce mandat. Elle succède à Philippe Martinez, secrétaire général de la confédération depuis 2015.