Le Haut Conseil du dialogue social est créé en 2008 sous l’égide des pouvoirs publics. Objectif: rendre compte de la représentativité réelle des organisations d’employeurs et de salariés, en introduisant notamment un critère «d’audience», mais aussi de «transparence financière». Cette seconde obligation sera cadrée, à partir de 2014, par la création de l’Association de gestion du Fonds paritaire national. Les organisations d’employeurs et de salariés sont partie prenante des deux organismes… Mais le contrôle des pouvoirs publics se renforce.
Par le décret n°2008-1163 du 13 novembre 2008 (Ve République), portant modification du code du travail (deuxième partie, chapitre II, titre II, livre Ier, section 1) il est créé un Haut Conseil du dialogue social, sous forme de commission administrative à caractère consultatif relevant du ministère du Travail.
Une révision de la légitimité patronale et syndicale
La création de cette instance s’inscrit dans un mouvement de redéfinition du dialogue social et de ses acteurs (organismes paritaires, organisations professionnelles d’employeurs et de salariés) à l’œuvre depuis plusieurs années. Le premier plan est celui d’une carence de légitimité de ces corps intermédiaires (comme des institutions en général, mais pour des raisons différentes selon qu’elles sont patronales ou de travailleurs).
Les maux cachés du «tripartisme» déguisé
L’arrière-plan est celui d’une évolution du modèle paritaire structuré autour du monde du travail au sortir de la Guerre de 1939-1945, justifiant notamment une rétribution par les pouvoirs publics de missions d’intérêt général. Faut-il parler, à cet égard, d’un «tripartisme» déguisé, suivant lequel la puissance publique aurait, durant un certain temps, délégué aux organisations professionnelles certaines de ses obligations, moyennant diverses contreparties plus ou moins justifiées? Dès lors, les organisations auraient longtemps bénéficié d’une «institutionnalisation» de fait, assortie de multiples avantages, les exonérant de mesurer concrètement le service rendu, mais aussi opaque aux transformations économiques et sociales.
La crise que le pays connaît en réalité depuis la fin des Trente Glorieuses, accélère et freine à la fois une remise en cause du modèle: d’un côté l’État instrumentalise toujours plus les organismes paritaires en lien avec la hausse de la dépense sociale; de l’autre, il s’efforce progressivement de limiter l’autonomie de décision de leurs gestionnaires, les partenaires sociaux, entre volonté d’universalisation des prestations sociales et réduction de la dépense publique. Il apparaît en outre que les résultats du modèle paritaire sont contrastés – progression du nombre d’accords d’entreprises signés, mais désaccord sur la hiérarchie des normes entre patronat et syndicats de salariés; désaccord sur le financement de l’Unedic, mais convergence sur la gestion de l’Agirc-Arrco; bonne volonté commune sur Action Logement…), l’échec exposant plus visiblement une mésentente – explicable aussi par l’histoire intra-patronale, intra syndicale, et par une difficulté à agréer une véritable négociation – que l’on pourra qualifier de preuve d’inefficacité. Et cela avec plus ou moins de force selon l’obédience politique au pouvoir (ainsi du désintérêt du président Sarkozy pour les corps intermédiaires, ou celui du président Macron en poste depuis 2017).
Le texte de 2008 se fait ainsi l’écho de plusieurs rapports publics (Hadas-Lebel, 2006; Attali, 2008), travaux experts sur les organisations patronales (Michel Offerlé) et les syndicats (Dominique Labbé, Dominique Andolfatto), livres polémiques aussi («L'argent noir des syndicats», Jean-Luc Touly et Roger Lenglet, 2008), chronique judiciaire (scandale de l’UIMM-CGT, 2008).
La représentativité se mesure à «l’audience»
Il prolonge, plus concrètement, la loi du 4 mai 2004 sur les règles d’adoption et modalités d’articulation des accords professionnels, elle-même inspirée d’une position commune aux partenaires sociaux (Accord national interprofessionnel sur les voies et moyens de l'approfondissement de la négociation collective, 16 juillet 2001); la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, qui redéfinit la notion de représentativité syndicale (art. 1er, retranscrit par l’article L. 2121-1 du Code du travail) d’après «les critères cumulatifs suivants, vérifiables aux niveaux de l'entreprise, de la branche et de l'interprofessionnel. :
« 1o Le respect des valeurs républicaines;
« 2o L’indépendance;
« 3o La transparence financière;
« 4o Une ancienneté minimale de deux ans dans le champ professionnel et géographique couvrant le niveau de négociation. Cette ancienneté s’apprécie à compter de la date de dépôt légal des statuts ;
« 5o L’audience établie selon les niveaux de négociation conformément aux articles L. 2122-1, L. 2122-5, L. 2122-6 et L. 2122-9 ;
« 6o L’influence, prioritairement caractérisée par l’activité et l’expérience ;
« 7o Les effectifs d’adhérents et les cotisations ».
Installé en 2009, le HCDS a pour mission d’émettre un avis sur la liste des organisations syndicales représentatives par branches professionnelles et au niveau national et interprofessionnel, via notamment le dispositif de mesure de l’audience de la représentativité syndicale. Le décret précise aussi sa composition «tripartite», mais avec prééminence de la puissance publique, à savoir: 5 personnalités qualifiées et représentants du ministre du Travail; 5 représentants des organisations patronales, (Medef, CPME, UPA, Unapl, FNSEA); 5 représentants des organisations syndicales (CFDT, CGT, CFTC, CFE-CGC, FO). Leur mandat est d’une durée de 5 ans. Une première mesure d’audience a été effectuée en 2013, une seconde en 2017.
En 2019, l’hypothèse d’une suppression du HDCS, au motif que «l’ensemble des arrêtés de représentativité ont été publiés en 2017 et, d’autre part, d’une diminution du nombre de réunions sur l’année 2018» a été envisagée, selon Force ouvrière. À ce jour, et initialement prévue au printemps 2020, la collecte des données pour la troisième mesure (2021) a été interrompue pour cause de Covid mais devait reprendre à l’automne 2020.
Un outil de contrôle de la transparence financière: le Fonds de gestion paritaire du dialogue social
La loi de 2008 faisait donc aussi de la «transparence financière» un critère clé dans l’appréciation de la représentativité. Autre sujet «sensible» – dont s’est fait notamment l’écho le rapport Perruchot de 2010, finalement enterré, mais qui n’en rappelait pas moins les difficultés techniques à la mettre en œuvre (rapport au statut des organisations, aux moyens techniques dont elles disposent…). De leur côté, les partenaires sociaux inscrivaient, dans un nouvel ANI (2012), la double nécessité de «s’assurer de l’efficience sociale et économique du service rendu par les organismes paritaires» mais aussi d’une «exemplarité de gestion».
L’acte de transparence financière est matérialisé, en 2014 (loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et la démocratie sociale, articles 29 à 35), via l’Association de gestion du Fonds paritaire national (AGPFN). L’objectif du législateur était ici de clarifier le mécanisme d’allocation et d’usage des ressources – cotisations d’employeurs, recouvrées désormais par l’Accoss et la CCMSA; subventions publiques faisant désormais l’objet d’une convention avec l’État – par les organisations professionnelles d’employeurs et de salariés ainsi que les comités d’entreprise.
Un modèle paritaire encadré
Le fonds géré par l’association crédite chaque organisation au regard de «3 types de missions (art. L. 2135‐ 11, du code du travail), à savoir «la conception, la gestion, l'animation et l'évaluation des politiques menées paritairement», «la mise en œuvre et le suivi des politiques publiques relevant de la compétence de l'État, notamment par la négociation, la consultation et la concertation», «la formation économique, sociale et syndicale des salariés appelés à exercer des fonctions syndicales ou des adhérents à une organisation syndicale de salariés» et leur indemnisation. Seules peuvent bénéficier des allocations de l’AGPFN les organisations reconnues comme représentatives aux élections professionnelles 2017.
Pour cette structure, on revient à un modèle plus paritaire, puisque ce sont les organisations nationalement représentatives (CFDT, CFE‐CGC, CFTC, CGT, CGT‐FO; CPME, Medef, U2P) qui cogèrent l’Association, dotée d’un conseil d’administration (32 membres), d’un bureau (8 membres, sans pouvoir de décision). Le président et le vice-président sont désignés par le CA. En 2020, Jean-Luc Raunicher (Medef) et Frédéric Souillot (FO) ont été choisis pour ces fonctions. Toutefois, en fin 2019, le Medef a annoncé qu’il renonçait aux «dotations financières de la part des organismes paritaires à la gestion desquels il participe», du fait précisément du rôle de l’AGPFN, sans pour autant renoncer «à jouer pleinement son rôle au sein des organisations paritaires dont il a la gestion».
Sources et références
- Loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail; accessible en ligne sur le site de Légifrance
- Décret n° 2008-1163 du 13 novembre 2008 relatif au Haut Conseil du dialogue social; accessible en ligne sur le site de Légifrance
- Loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale; accessible en ligne sur le site de Légifrance
- «Le dialogue social français au regard de l’Europe», Les clés du social; accessible en ligne sur le site clés du social
- «Paritarisme : vers une indépendance financière ?», Hors-série revue Constructif, Juin 2018 ; accessible en ligne sur le site de Constructif
- «Mesure de la représentativité syndicale et patronale », Dossier de presse, ministère du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social, avril 2017; document accessible en ligne sur le site du ministère du Travail
- Communiqué FO (18 octobre 2019)
- Communiqué Medef (30 janvier 2020)
- sites: ministère du Travail (Le Haut Conseil du dialogue social); AGFPN