En 1964, le pôle de syndicalisme chrétien constitué par le CFTC se fracture. Libérée de la «morale sociale chrétienne», la Confédération française et démocratique du travail (CFDT) va opter dans un premier temps pour une vision élargie du syndicalisme à un socialisme humaniste, puis se recentrer sur un positionnement constructif et de négociation dans le cadre de la société de marché. C’est l’une des cinq grandes organisations syndicales de salariés interprofessionnelles représentatives.
Le congrès extraordinaire de la CFTC, à Paris, les 6 et 7 novembre 1964 (Ve République), se termine sur l’éclatement de la centrale syndicale d’obédience chrétienne créée en 1919. Une très forte majorité de congressistes se prononce alors pour les propositions portées par les «reconstructeurs», avec pour leitmotiv principal la dé-confessionnalisation de l'organisation.
De la morale confessionnelle à l’humanisme laïc
Le débat a été ouvert, en réalité, dès la sortie de la guerre, tandis que grâce à son rôle joué dans la Résistance, la confédération de travailleurs chrétiens jouit d’une légitimité forte, non seulement auprès des pouvoirs publics, mais aussi du monde ouvrier. L’édifice, sous l’impulsion notamment de Gaston Teissier, maître d’œuvre de l’institution professionnelle depuis 1919 en tant que secrétaire général puis président, se rétablit rapidement de l’interdiction de 1940 et se consolide.
Sous la nouvelle orientation idéologique, une mutation sociologique
L’arrivée d’une nouvelle génération de militants, notamment issus de la Jeunesse ouvrière chrétienne (créée en 1929) et dont certains ont fraternisé avec les militants cégétistes pour libérer le pays, combinée à l’espérance renouvelée en le système démocratique par rapport aux autoritarismes, induit à déplacer l’accent sur un humanisme laïc et sur l’émancipation économique des travailleurs, ainsi que le rappelle le préambule des statuts de la centrale syndicale: «Le syndicalisme est pour les travailleurs et les travailleuses l'instrument de leur reconnaissance, de leur émancipation individuelle et collective, de leur participation à la construction permanente d’une société juste et démocratique.» Le renouvellement démographique génère aussi, au sein de la CFTC, la prégnance des fédérations d’industrie sur celle des employés des services.
L’effervescence d’idées, au risque de conflits internes, qui bouleverse les équilibres au sein de la centrale inspirée par le modèle social chrétien, conduira à une modernisation y compris au regard de la référence confessionnelle. La nouvelle ligne est privilégiée par le secrétaire général Eugène Descamps (de 1961 à 1964) même s’il s’attachera à ménager les tenants de l’héritage historique. La rupture consommée, les minoritaires s’efforceront de pérenniser la CFTC, au risque de générer un conflit de «marque» qui se résoudra néanmoins sans trop de heurts.
Le grand «espoir» de l’autogestion
De fait, le changement de cap proposé par les reconstructeurs traduit une réorientation en phase avec les idées de la gauche non communiste et un renforcement de l’opposition à la politique du gouvernement gaulliste, jugée à la fois insuffisante au regard d’une modernisation économique et de la protection des plus faibles. En 1966, tandis que la CFDT est reconnue comme organisation représentative, elle amorce un rapprochement avec la CGT motivé par la réticence forte à négocier du patronat. En 1968, elle participe activement aux Accords de Grenelle, qui légitiment sa re-création de section syndicale d’entreprise. Les années 1970 s’ouvrent sur la mise en avant des concepts socialisants de «planification démocratique», «autogestion», ce tandis que les forces de gauche sont pour la première fois, dans le cadre de la Ve République, en perspective d’accéder au pouvoir. Par contrecoup de l’échec de la présidentielle de 1974, de la rupture avec le Programme commun de la gauche en 1977, du nouvel échec de la gauche aux élections de 1978, le rapprochement avec la CGT fait long feu, tandis que l’indépendance vis-à-vis des courants politiques est réaffirmée.
Pour un syndicalisme de négociation
En 1979, sous l’égide d’Edmond Maire (1931-2017), qui a succédé à Eugène Descamps en 1971 (et jusqu’en 1988) au secrétariat général, opère le grand «recentrage» sur l’objet syndical, l’autonomie de l’organisation, la primauté à la négociation, priorités qui seront confirmées dans les années suivantes et gravés dans le marbre via les statuts actualisés de 2014, par lesquels la confédération se positionne sur «une approche constructive du dialogue social, privilégiant la confrontation des intérêts divergents et la négociation à une opposition systématique. La confédération plaide pour une complémentarité entre démocratie politique et démocratie sociale. Elle fait de la négociation la voie privilégiée pour dépasser les conflits et du dialogue social un moyen essentiel du développement économique et social» (art. 1). Cette réorientation, ressentie par certains adhérents comme un alignement sur des politiques de plus en plus libérales, donnera lieu à de graves tensions internes, d’où est notamment issue la création de Solidaires.
Le premier syndicat à avoir été dirigé par une femme
Depuis le 22 juin 2023, Marylise Léon est le 7e secrétaire général de la CFDT, premier syndicat français de salariés à avoir été par ailleurs dirigé par une femme, Nicole Notat (1992-2002). De 1967 à 1973, elle était également représentée par un président, dont le premier fut Francis Jeanson (1922-2009). En 2018, la Confédération française et démocratique du travail, revendique plus de 620000 adhérents, plus de 1100 syndicats, 18 fédérations professionnelles, 2 unions spécifiques (retraités, cadres), 19 unions régionales interprofessionnelles, 64 unions départementales ou de bassin d’activités en métropole. Les instances souveraines sont le congrès (tous les 3 ans, délégués des syndicats adhérents) et le conseil national (assemblée des fédérations et unions régionales inter‐professionnelles, délégataire des attributions du congrès pour le temps de mandat). Les instances exécutives sont le bureau national (39 membres, élus par le congrès) et la commission exécutive (10 membres, élus par le bureau national, dont le secrétaire général).
Elle est au nombre des cinq confédérations syndicales interprofessionnelles représentatives au plan national et habilitée, comme telle, à siéger au Haut conseil du dialogue social. La mesure d'audience de sa représentativité en 2017, sur la base des élections professionnelles dans les entreprises et au sein des chambres d'agriculture, la Confédération française et démocratique du travail rassemblait les suffrages de près de 1,4 millions de salariés, soit aussi 26,40% de l'audience des cinq centrales interprofessionnelles représentatives. Des chiffres d'audience en progression par rapport à la mesure de 2013 : +29 milliers de suffragants, +0,40% d'audience. En 2019, lors du renouvellement des collèges salariés des chambres d'agriculture, elle a obtenu 24,19% des suffrages côté salariés des exploitations et 34,65% auprès des salariés des groupements, en tendance stable par rapport à 2013. En 2020, elle est également au premier rang pour les délégués élus à la Mutualité sociale agricole, avec 41% des suffrages du collège salariés.
Sa prééminence dans le paysage syndical français s'est confirmée en 2021, où elle devient la première organisation syndicale de salariés représentative au niveau interprofessionnel, avec 26,77% des suffrages. Elle se situe au premier rang dans près de 80 secteurs ou conventions collectives nationales, avec des points d'ancrage majeurs dans l'agriculture (coopératives, enseignement), l'ingénierie territoriale, le commerce non alimentaire, le tourisme, la radiodiffusion ou encore le sport.