Alors que la première mouture du texte sur la réforme des retraites sera présentée à l’Assemblée le 17 février 2020, de multiples institutions professionnelles (syndicats de salariés, agricoles, d'artistes caisses de retraite autonome, sociétés d'auteurs) continuent à demander une réforme de la réforme.
Les caisses autonomes mesurent l’impact de la réforme
Quelque 7 caisses de gestion des régimes autonomes des médecins (CARMF), des pharmaciens (CAVP), des vétérinaires (CARPV), des chirurgiens-dentistes et sages-femmes (CARCDSF), des avocats (CNBF), des experts-comptables (CAVEC), des notaires (CPRN), ont décidé de lancer leur propre étude d’impact de la réforme et de la rendre publique. Elles estiment en effet que les éléments qui leur ont été transmis par le Haut-Commissariat «présentent des différences significatives avec leurs propres estimation» et entendent avoir une mesure précise des «cotisations (…), prestations futures et leur rendement». Elles réitèrent par ailleurs leurs exigences concernant leurs réserves («utilisées selon les hypothèses financières actuellement prévues»), leur participation à la gestion du système («pôles de gestion uniques du régime universel et des régimes actuels pour les professions concernées»), la reconnaissance de leur légitimité et leur pleine participation à la gouvernance du nouveau système.
Les organisations professionnelles et sociétés d'auteurs expriment leurs inquiétudes
La «disparition programmée et planifiée de l’IRCEC» (autre caisse de régime autonome) et avec elle de la «la possibilité même de constituer un étage professionnel créateur de nouveaux droits, en particulier pour les auteurs nés après 1975» motive l'interpellation des pouvoirs publics par une vingtaine de sociétés de gestion des droits (SACD, SACEM, SCAM, SGDL, SOFIA) et organisations professionnelles du secteur de la culture (ADDOC, AGRAF, ARP, ATAA, Chorégraphes associés, EAT, GAM, GARDD, SCA, SNAC, SRF, UCMF, UNA, UPAD, Groupe 25 images). Le collectif estime que la réforme, sauf modifications du texte en l'état, serait «injuste» à plusieurs titres (cotisations salariales prises en charges par des tiers, irrégularités et spécificité de revenus) et que ce serait d'autant moins compréhensible à un moment où «le le ministre de la Culture (…) doit annoncer prochainement des mesures en faveur des auteurs».
La mobilisation du front intersyndical ne reflue pas
Le front intersyndical opposé à la réforme et constitué autour de syndicats de salariés (CFE-CGC, CGT, FO, FSU, Solidaires), d’étudiants (UNEF), de lycéens (FIDL, MNL, UNL), «renouvelle son exigence du retrait du projet de réforme des retraites». Les signataires estiment que leur position est d’autant plus légitime que le projet a fait l’objet de plusieurs analyses très critiques, de la part des «caisses de sécurité sociale», du «Conseil d’État», du «Conseil supérieur de la fonction militaire», d’experts divers «y compris les inspirateurs de l’idée de régime universel», sans oublier l’opposition de «100 % des barreaux et pratiquement toutes les professions libérales». Ils notent par ailleurs que le Gouvernement «n’a pas éclairci les innombrables points obscurs du projet», «n’a pas de solution pour juguler le déficit créé par les exonérations de cotisations» qu’il a décidées.
Force ouvrière, par le voix de son secrétaire général Yves Veyrier, dénonce par ailleurs «une confusion entre la revalorisation annuelle des pensions des retraités et le calcul de la pension au moment du départ à la retraite» dans le projet gouvernemental. Pour FO, il est clair que «la revalorisation annuelle des pensions demeurera (…) indexée sur l’inflation et non sur les salaires» avec le risque connu que l’on «puisse y déroger dans le cadre des lois annuelles de financement de la sécurité sociale». S’il est vrai qu’il serait prévu de revenir à une indexation sur les salaires en 2045, ce serait au prix de la substitution au salaire moyen par tête du revenu moyen par tête, une solution moins bénéfique pour le futur retraité. La confédération a également motif à s'opposer compte tenu des incertitudes concernant l'application du nouveau régime aux personnes en situation de handicap.
Pour l’Union syndicale Solidaires, la dynamique contestataire continue à se renforcer du fait de la «dénonciation d'autres réformes, relevant de la même logique et tout aussi néfastes: celle du bac et du lycée (…), celles qui touchent l'enseignement supérieur et les instituts de formation des futurs enseignant-es (…) celles qui ont amené à la rupture le système de soin et les hôpitaux en France». Le syndicat annonce un lundi 17 février noir à Paris, du fait des agents de la RATP.
La Confédération générale du travail met l’accent sur la mobilisation des travailleurs saisonniers le samedi 15 février 2020, que le projet de réforme, compte tenu de «la nature même de leur contrat de travail: salaires bas, pénibilité, difficulté voire impossibilité d’accès à un logement décent ou encore non attribution d’une prime» devrait pénaliser puisque «les périodes non travaillées seront exclues du calcul de leurs droits». Et la CGT d’incriminer aussi l’impact négatif de la réforme de l’assurance chômage. Par ailleurs, suite à une réunion de concertation à Matignon sur les questions de la «pénibilité», «l'emploi des seniors» et «les transitions entre les régimes» (le 13 février 2020–NDLR), le syndicat n'a pu que constater ni «concertation sérieuse», ni «axes politiques clairs appuyés de supports, d’analyses et de projections», ni de précisions sur ce que serait «une carrière complète».
La désapprobation des syndicats agricoles
La Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles ne décolère pas au regard du refus de l'Assemblée, avant débat, des «amendements demandant la revalorisation des petites retraites agricoles à un minimum de 85% du Smic». Elle rappelle que, non seulement le principe en avait été voté en 2017 par la même assemblée, mais aussi que «promesse avait (…) été faite par la ministre de la Santé d’apporter une revalorisation aux plus faibles retraites agricoles en marge de la discussion de la réforme des retraites au Parlement». S'il apprécie la «revalorisation par la loi des pensions des futurs retraités agricoles à un minimum de 1000 euros par mois à partir de 2022», le syndicat d'exploitants agricoles n'en exige pas moins une amélioration de la situation des anciens agriculteurs.
Reçue par le ministre de l’Agriculture le 11 février, la Coordination rurale a évoqué la situation exaspérante que créent, chez les agriculteurs, le cumul des «retraites ridicules, revenus en berne, contraintes». Son président Bernard Lannes a notamment demandé «la prise en compte de la pénibilité pour les retraités agricoles», une reconnaissance de «l’incapacité (…) comparativement aux salariés», «l’urgence de lever la discrimination concernant les retraites des agricultrices». Et là encore, le lien doit être fait avec «les difficultés de l’emploi agricole, elles-mêmes fortement liées aux prix rémunérateurs».