Le projet de réforme des retraites, dont les grandes lignes ont été présentées par le Premier ministre Édouard Philippe le 10 décembre 2019, continue de générer de vives oppositions, aussi bien du côté des syndicats de salariés, des professionnels libéraux concernés au titre de leurs régimes autonomes. Les organisations agricoles constatent que la situation des exploitants n’est toujours pas prise en compte. Plus favorables a priori au projet, les syndicats d’employeurs font néanmoins part de certaines réserves. Certains s'inquiètent par ailleurs de l'imapct négatif des grèves sur l'économie.
Le front du refus des syndicats de salariés se renforce
- CFDT, l’UNSA, la CFTC et la FAGE dénoncent la logique comptable de l’âge pivot
Jusque-là plutôt favorables au projet, les syndicats de salariés CFDT, CFTC, UNSA et d'étudiants FAGE font savoir leur ralliement au mouvement de contestation au motif que «nos organisations (…) se sont engagées loyalement depuis de longs mois dans les discussions (…) Mais malgré des ouvertures et des avancées que nous ne nions pas, certaines annonces du Premier ministre font aujourd’hui obstacle à sa construction». Pour les quatre organisations, la mesure d'âge traduit «le choix des économies de court terme, plutôt que de la justice sociale». Outre son retrait, elles plaident pour une ré-ouverture des discussions autour de «sujets cruciaux»: la «pénibilité», «les mesures pour la fonction publiques et les régimes spéciaux», «la retraite progressive», «le minimum de pension».
Estimant avoir suffisamment mis en garde le Gouvernement de ne pas coupler réforme systémique et paramétrique, la Confédération française et démocratique du travail «appelle (…) l’ensemble des travailleurs à se mobiliser le 17 décembre pour que le Gouvernement renonce à toute mesure d’âge et rouvre les discussions pour un système de retraite universel qui soit réellement juste». En pratique, la CFDT s’oppose à « l’instauration d’un “âge d’équilibre” dès 2022» contradictoire avec «la promesse du Président de la République de ne pas faire de mesure d’âge». S’il considère que le rapport Delevoye «donne les outils pour (…) bâtir», le syndicat de salariés estime en outre que «la reconnaissance de la pénibilité n’est aujourd’hui pas à la hauteur», «qu’une carrière complète au SMIC mérite une pension bien supérieure à 85% du SMIC», que la «responsabilité des entreprises doit être engagée dans le maintien dans l’emploi des seniors», que la «situation des travailleurs concernés par les régimes spéciaux (doit être — NDLR) clarifiée».
Pour l’Union nationale des syndicats autonomes, «la mise en place d’un âge pivot à 64 ans en 2027 avec une montée en charge dès 2022 est (…) une ligne rouge» que le Gouvernement a choisi de franchir, ce pourquoi elle «se dirige vers une mobilisation plus globale, y compris par la grève dès mardi prochain». L’UNSA salue certes des avancées: déport de la mise en application sur la génération salariée après 1975 qui bénéficiera « de 100 % de droits acquis dans l’actuel régime»; «revalorisation et (…) garantie de maintien de pension» pour les enseignants. Elle note, en revanche, de «grandes incertitudes qui éloignent la sortie de la crise»: insuffisance des mesures pour la fonction publique hospitalière et territoriale, dans la prise en compte «de la dangerosité de certains métiers» et de la pénibilité; manque de clarté sur le traitement des régimes spécifiques renvoyé à des «des négociations d’entreprise, sans préciser aucune borne d’âge ni accorder aucune garantie quant au respect du contrat social».
La Confédération française des travailleurs chrétiens sera aussi mobilisée le 17 décembre, avec pour mot d’ordre «refus de l’âge pivot», «exigence d’une prise en compte de toutes les situations de travail réellement pénibles». Si elle salue les mesures en «faveur des droits familiaux», les nouvelles modalités de concertation avec les partenaires sociaux, la CFTC demande toutefois que leur soit garanti «un rôle clé dans la gestion des paramètres essentiels». Une exigence que vient contredire la fixation d’un «âge d'équilibre en ne laissant aux partenaires sociaux que le soin d'en définir les modalités».
- Le système universel par points n’est pas acceptable pour FO, la CGT, la FSU, la CFE-CGC, Solidaires, l'Unef, la FIDL, le MNL et l'UNL
L'intersyndicale fédérant syndicats de salariés (CFE-CGC,CGT, FO, Solidaires, FSU) et organisations de lycéens (FIDL, MNL, UNL) et étudiants (Unef) entend poursuivre la mobilisation les 12 et 17 décembre 2019, vu que «le projet du gouvernement conduirait à un recul des droits par la baisse programmée des pensions de tous les salariés du privé comme du public et l’obligation de travailler plus longtemps» et ne prend aucunement en compte les «propositions des organisations syndicales».
Force ouvrière précise ses positions en rappelant que «la mise en place d’un âge d’équilibre à 64 ans (…) va aussi à l’encontre de ce que l’on nous rappelle comme étant un engagement de campagne puisque la réforme ne devait ni conduire à de nouvelles économies sur les retraites ni reculer l’âge de départ». Pour FO, «le projet (est-NDLR) la marque d’une démission (…), le premier ministre explique qu’il faut adapter notre système de retraite ”au nouveau visage de la précarité». La confédération de travailleurs réaffirme son engagement à «préserver notre système de retraite et ses régimes», par la négociation… mais aussi par la mobilisation. Sa Fédération des personnels des services publics et de santé (FO/FPSPS) met particulièrement l’accent sur le fait que «le Premier ministre s’est tout simplement moqué d’eux. Ce ne sont pas quelques annonces sur de soi-disant nouveaux droits pour quelques infirmiers, pompiers ou aides- soignants qui masqueront l’ampleur de la régression sociale de cette contre- réforme. (…) ces mesurettes, outre le fait qu’elles ne concerneraient que quelques-uns parmi ces métiers, ne compenseraient pas la possibilité actuelle de partir à la retraite à 57 ans, ni même d’avoir la garantie du niveau actuel de pension dont ils sont assurés aujourd’hui».
La Confédération générale du travail estime, plus précisément, que« l’allocution du Premier ministre «aggrave les propositions contenues dans le rapport Delevoye» et critique le fait que «le Gouvernement, non content de faire une réforme systémique annonce une modification des paramètres de départ en retraite dès l’année prochaine entrainant le recul de celui-ci». La CGT est d’autant plus opposée à la réforme «que la variable d’ajustement serait la valeur du point et donc la baisse du niveau des pensions», et, qu’en outre, «le Gouvernement (…) confie aux partenaires sociaux le soin de sa mise en oeuvre et d’en gérer les conséquences pour l’ensemble de la population, sous le contrôle des orientations budgétaires. Dès lors, ressurgissent les méthodes anti-démocratiques avec la volonté de vouloir passer par ordonnances et décrets des arbitrages essentiels pour l’avenir de nos retraites». La manière dont ne sont pas traitées les questions de pénibilité au travail, d’égalité salariale entre hommes et femmes, motivent aussi son appel à mobilisation pour «jeudi 12 décembre et mardi 17 décembre 2019». Dans une prise de position complémentaire, la CGT dénonce la décision du ministre de l'Économie de ne pas «donner “un coup de pouce” au Smic, au 1er janvier 2020», ce alors même que «le Gouvernement a notamment évoqué une indexation des futures pensions sur la hausse des salaires et, plus précisément, du Smic». Pour la confédération de travailleurs, «1% de hausse de salaire, ce sont 3,6 milliards d’euros pour les caisses de retraite et 5% de hausse, ce sont 18 milliards d’euros».
La Fédération syndicale unitaire souligne qu'elle ne veut pas d’ une «réforme (…) inégalitaire, notamment entre les femmes et les hommes, (qui-NDLR) conduira à une baisse du niveau des pensions» et qui impactera particulièrement les « agents-es de la Fonction publique».
Les syndicats d’employeurs favorables sous réserves
L’Union nationale des employeurs de l’économie sociale et solidaire (UDES) soutient le «maintien d’un régime par répartition permettant des avancées au nom de la solidarité, au bénéfice de publics fragiles ou ayant connu des carrières heurtées», mais constate que «le Gouvernement reste ambigü sur le financement (…) et le nombre de points nécessaires pour bénéficier d’une pension à taux plein dans le cadre du nouveau régime». L’UDES demande en particulier que «l’impact financier du nouveau régime ne se répercute pas à terme sur les employeurs au travers d’une augmentation des cotisations» et que «les dispositions liées au calcul des 25 meilleures années du régime général soient préservées autant que possible».
Également favorable à un projet qui répond aux enjeux de garantie d’une «forme de protection sociale (…) qui maintient la solidarité entre les générations et qui est indispensable à toute société» et de «niveau de pension permettant aux Français de vivre pleinement leurs années de retraite et de contribuer à la croissance économique», l’Union des entreprises de proximité apprécie plus particulièrement les dispositions relatives aux indépendants dont «l’assiette des prélèvements sociaux (…) va être revue à la baisse de façon à annuler la hausse du taux de cotisation des artisans et commerçants (de 24,75% à 28,12%) induite par la réforme». Elle se satisfait aussi «du relèvement à 1000 euros de la pension de retraite minimale, mesure qu’elle réclame depuis plusieurs années». En revanche, elle juge nécessaire une «négociation avec les représentants des professions libérales (…) conduite le plus rapidement possible afin de trouver des mesures complémentaires destinées à limiter la hausse de leurs cotisations et la baisse prévisible du rendement de leurs retraites».
Pour la Confédération nationale des artisans métiers de service et fabrication (CNAMS), la réforme va dans le bon sens puisqu'elle prend en compte plusieurs de ses attentes: «assiette des prélèvements sociaux des travailleurs indépendants (…) revue à la baisse», «relèvement à 1000 euros de la pension de retraite minimale», «maintien du système des carrières longues (…), des réserves des régimes complémentaires», «gouvernance (confiée-NDLR) aux partenaires sociaux». L'organisation fédérant indépendants et artisans souhaite par ailleurs que le mouvement social «ne fragilise pas le tissu économique et les entreprises».
Croissance Plus se prononce aussi en faveur d'une évolution du système «nécessaire pour mettre fin à un système complexe et inéquitable», moyennant la prise en compte «les carrières longues et de la pénibilité de certains métiers» et l'ouverture d'un débat sur «l’évolution du travail et de la formation tout au long de la vie».
Les professionnels libéraux toujours sur le qui-vive
Le Conseil national des barreaux dit regretter, sans plus de commentaires, que «sur le sujet des professions libérales, le Premier ministre ait récité à la virgule près le rapport du Haut-commissaire aux retraites», moyennant quoi il «décidera ce vendredi (12 décembre 2019 – NDLR) des actions à prendre». Pour sa part, la Fédération nationale des unions de jeunes avocats (FNUJA) dénonce une «disparition programmée de la profession d'avocat», via un «régime universel qui accroîtra les inégalités et renforcera les disparités au sein de notre profession». D'où un soutien à «toutes décisions fortes qui seront prises par le CNB et le collectif SOS Retraites (…) pour s’opposer au projet de réforme et obtenir son retrait».
Le Syndicat des médecins libéraux se fixe une limite de négociation au 7 janvier 2020 avant de se prononcer. En l'état actuel, «le dispositif prévu conduit à une baisse de la pension de retraite des médecins libéraux dans une proportion (…) plus importante que la baisse de cotisation annoncée». Le SML exige donc «que les médecins libéraux puissent compléter leur retraite par un dispositif défiscalisé de type «Prefon» afin de construire des retraites dignes». Dans la mesure où la CARMF se trouve condamnée par le «périmètre à 3 PASS», le syndicat de professionnels libéraux demande la mise en place d'une «d'une structure de médiation entre les différents acteurs du régime universel», mais aussi et surtout le maintien des «réserves constituées (…), dans la profession» afin de «financer la période de transition»; celui des conditions actuelles de «l'abonnement à la CNAM», ainsi qu'une «réforme de l’assiette de cotisation à la CSG». Il réitère aussi son exigence que la profession participe pleinement à la gouvernance du nouveau système.
Un projet au format «vache maigre» pour les syndicats d’exploitants agricoles
La Confédération paysanne se mobilisera «au côté des travailleurs et travailleuses qui luttent pour plus d’égalité». Le syndicat agricole rappelle qu’il n’est pas apporté de «réponse à nos revendications pour une revalorisation immédiate des pensions les plus basses et pour un futur système de retraite solidaire, équitable et universel». La Conf’ réitère son exigence d’une «retraite plancher quelque soit le parcours professionnel et un plafonnement des plus grosses pensions» et d’une lutte contre «l’évasion sociale et fiscale».
La Coordination rurale note avec amertume que les agriculteurs sont «totalement oubliés du discours du Premier ministre». Le syndicat d’exploitants souligne que «les futurs retraités agricoles ne peuvent pas attendre 2025» date à laquelle est prévue la mise en application d’un minima à «85 % du SMIC» au demeurant issu d’une loi de 2003 mise en application pour les salariés en 2009, mais sans cesse repoussée pour les non-salariés agricoles (NSA)». Il «s’insurge sur le principe de la cotisation minimum qui impose de payer des cotisations sur des revenus inexistants» ce d’autant qu’elles «passeront de 21,11% à 28,12% soit 33,21% d’augmentation». Pour la Coordination rurale, la prise en compte de la pénibilité du métier est également nécessaire.
Pour la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, les annonces gouvernementales sont appréciables, notamment quant au fait que «La retraite minimum des agriculteurs retraités à compter de 2022 atteindrait ainsi 1000 € par mois» et, plus largement, le faire que «La confirmation d’un régime universel s’inscrit également dans une dynamique positive pour les agriculteurs qui verront enfin les règles de calcul de leur pension se rapprocher de celle de leurs concitoyens». La FNSEA souhaiterait néanmoins que les «anciens exploitants» ne soient pas oubliés et, particulièrement une «revalorisation des retraites à 85% du SMIC est indispensable pour l’ensemble des retraités actuels de la métropole et d’Outre-Mer».
Les chambres de métiers priorisent la fin des manifestations
L’Assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat se dit favorable à une réforme qui «assure via le régime universel un principe d’équité pour tous les actifs» et salue «la primauté de sa présentation devant les partenaires sociaux et corps intermédiaires» (au CESE–NDLR). Elle exige, surtout, la fin des «reconductions permanentes de grève qui font pression sociale sont dangereuses er mortifères» pour les entreprises de l’artisanat et du commerce.
La Confédération des petites et moyennes entreprises avertit, sur la base d'une consultation des entreprises, que «si le mouvement devait perdurer, ce sont des investissements qui seraient remis en cause pour 38% des dirigeants. 16% des entreprises craignent même d’être dans l’incapacité de maintenir la totalité des emplois». La CPME se félicite, en conséquence, de la décision du ministère de l'Économie de «réactiver les mesures d’étalement fiscales et sociales, et de chômage partiel mises en place lors du mouvement des gilets jaunes».
Des appels aux acteurs du mouvement et au Gouvernement pour que l'économie ne soit pas durement affaiblie sont également lancés par divers syndicats d'employeurs. Ainsi de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) qui réaffirme, lors d'une rencontre au ministère de l'Économie et des Finances, le 11 décembre 2019, la nécessité de réactiver « les mesures compensatoires pour aider les commerçants à passer ce cap difficile sans attendre qu’ils ne soient plus en mesure de faire face à leurs obligations».
L'Association française du rail interpelle le secrétaire d'État aux transports au vu de l'incidence négative des événements sur l'activité des entreprises du ferroviaire, notamment en matière de fret, «secteur très fragilisé», à fin de «mesures fortes et concrètes pour une reprise rapide des circulations».
Communiqué FNUJA – 13 décembre 2019; Communiqué commun CFDT, CFTC, UNA, FAGE; Communiqué CGT; Communiqué SML; Communiqué CNAMS; Communiqué FCD; Communiqué CPME; Communiqué Croissance Plus – 12 décembre 2019; Communiqué AFRA – 12 décembre 2019; Communiqué CFDT; Communiqué UNSA; Communiqué CFTC; Communiqué intersyndical FO, CGT, FSU, CFE-CGC, Solidaires, Unef, FIDL, MNL, UNL; Communiqué FO; Communiqué FO/FPSPS; Communiqué CGT; Communiqué UDES; Communiqué U2P; Communiqué Confédération paysanne; Communiqué Coordination rurale; Communiqué FNSEA; Communiqué CNB; Communiqué APCMA; Communiqué CDCF – 11 décembre 2019